incertitudes

Asphyxie positionnelle probable.

Calice.

On a vu le médecin pour recevoir les résultats d’autopsie.

J’avais peur de me faire confirmer mes craintes les plus profondes. Peur d’avoir mal fait. En même temps, au fond de moi, j’aurais peut-être été soulagée par un tel verdict. La réalité telle qu’elle peut être mesurée et qualifiée par les médecins aurait alors été en phase avec mes sentiments d’échec, de culpabilité.

Asphyxie positionnelle probable.
Le médecin me répète que ce n’est pas de ma faute. Mais n’empêche. Paul a fait un arrêt cardio-respiratoire alors qu’il était sur moi. En train de boire. Et je n’ai rien pu faire.

Je revois l’ambulancier me demander d’un ton accusateur pourquoi il y avait du sang sur son visage. Puis les policiers qui prennent mes cartes d’identité sans me demander la permission. Qui ne nous lâchent pas d’une semelle à l’hôpital alors que notre monde s’écroule. Même quand les médecins viennent nous parler, leurs mots comme des griffes qui me prennent à la gorge, les policiers restent là. Comment ne pas sentir de culpabilité alors que même aux yeux de la loi j’étais suspecte?

Comment entendre à la fois les mots du médecin — ce n’est pas de votre faute — et ceux qui n’habitent depuis le 29 janvier? J’ai voulu bien faire, mais le résultat est là, ce que tout le monde réussit à faire, j’y ai échoué. C’était bien la peine de m’inquiéter de la laideur des tapis d’éveil, de lire des livres sur l’éducation, de réfléchir à l’aménagement d’une chambre stimulante, à la création d’une vie vierge de jouets abrutissants, je n’ai même pas réussi à préserver la vie de mon bébé.

Je veux faire taire cette voix. Rationnellement, je sais qu’elle ne m’apporte rien de bon. Mais émotivement, j’y suis encore attachée. Quelqu’une me disait d’ailleurs que c’est un peu à ça que ça sert la culpabilité. À maintenir le lien avec les événements. Tant que je m’y accroche, j’arrive à continuer de croire que les choses auraient pu être différentes. Je ne veux pas l’abandonner. Je ne veux pas abandonner Paul.

Les résultats qu’on a reçus ne sont pas définitifs. On nous parle de causes probables. Il reste des zones floues, des tests à passer. Peut-être des réponses à venir. Mais peut-être pas non plus.

En attendant, il nous reste certainement à apprivoiser l’incertitude. À vivre avec cette peine sans aucun sens.

 


 

On est deux dans tout ça. Depuis les derniers jours, j’écris, j’écris comme si une digue qui retenait tous ces mots venait de lâcher. Je ne sais pas si j’apprécierais lire ces réflexions sur la vie et la mort de Paul si je n’en étais pas l’auteure.

J’ai demandé à P. de relire ce texte avant de le publier parce que je ne crois pas qu’on a besoin de partager toutes les informations de facto. P. me dit d’aller de l’avant mais que je gagnerais peut-être à offrir quelques précisions pour mieux rendre toutes les explications du médecin.

J’ajoute donc en vrac :

Le diagnostic qu’on a reçu s’apparente à la mort subite inexpliquée du nourrisson. Par définition, c’est une cause de décès qui est déterminée quand rien d’autre ne peut être identifié. La communauté médicale ne connaît donc pas la cause de la MSIN. On sait par contre que certains bébés naissent avec un système respiratoire/pulmonaire qui n’est pas encore complètement mature, ce qui rend certaines de leurs fonctions respiratoires moins fiables que chez d’autres (par exemple, ils n’auront pas le réflexe de respirer plus fort si le taux de CO2 ambiant augmente). Cette immaturité passe généralement inaperçue, à moins que le bébé ne connaisse un épisode de détresse respiratoire à la naissance.

Depuis les années 1990, des études épidémiologiques et des campagnes de prévention ont permis de diminuer de beaucoup l’incidence de la MSIN. On conseille alors aux parents de placer leur nouveau-né dans leur chambre à eux mais dans son propre lit, sur le dos, sur une surface ferme et dégagée. L’autre facteur de risque reconnu est le tabagisme des parents, tandis que l’allaitement est lié à une diminution du syndrome de la mort subite.

Certains autres facteurs semblent être associés à des décès de nourrissons sans que cela n’ait été prouvé. Par exemple, une augmentation de la température ambiante, soit parce que la température extérieure est élevée, ou au contraire, parce que le bébé est emmitouflé pour le protéger du froid.

Dans certains cas de mort subite, on retrouve ces facteurs. Dans d’autres, ces pistes sont écartées et les causes restent nébuleuses.

Comme me le rappelait P., au moment de son arrêt cardiaque, Paul a connu un certain stress, il avait chaud. Mais ce n’était pas la première fois qu’il avait chaud, ou qu’on le promenait dans le porte-bébé. Et ce n’était pas la première fois qu’il vivait un stress physique, à commencer par sa naissance longue et laborieuse.

Ça n’aurait pas non plus dû être le dernier facteur de stress auquel il devait être soumis. On avait rêvé pour lui une existence en mouvement. Des aventures, des explorations. On ne voulait pas essayer d’éliminer tous les facteurs de risque de sa vie, projet de toute façon inatteignable. En rétrospective, une part de moi aurait envie de remettre cette approche en question. Mais au fond de moi, il me reste la croyance – ratatinée, incertaine, timide – qu’on a eu raison.

 

7 réflexions au sujet de « incertitudes »

  1. Oh Typhaine. I’m so sorry. I hate that we must live with pangs of regret, on top of the tremendous loss of our precious children. I hope those ease with time. And, I’m sorry the medical/autopsy report is not terribly helpful or clear. It seems we put so much faith into medicine and doctors with fancy degrees, and oftentimes, they are just as mystified as we are.

    • All these feelings are evolving and moving in and out of my mind everyday… I’m hoping eventually I will be in peace with the facts — or lack thereof — and the feelings that come with them.

  2. Je suis tellement désolée…

    je lis ta culpabilité et votre choix de vivre une vie remplie d’exploration…

    Cette culpabilité, c’est tout ce que tout parent qui fait des choix disons « différents » craint lorsqu’il fait un choix comme par exemple de ne pas vacciner l’enfant (choix que j’ai fait) ou de dormir avec lui…

    C’est la peur quand notre enfant est tombé du lit partagé ou qu’il pogne la coqueluche (et tlm dit « mais il était pas vacciné? » ou alors qu’il la donne au bébé de ta soeur nouveau-né qui se retrouve hospitalisé) ou qu’on se réveille et, cherche pourquoi, il a notre douillette sur la tête (malgré toutes nos précautions)…

    Ce sont les fois qu’on n’est pas parfaits, qu’on en oublie ou en échappe, la fois que je laisse ma plus jeune sortir de mon appart avant moi sur une rue passante pcq le quotidien est chargé et qu’on ne peut pas voir à tout mais qu’on veut vivre, christie!

    Et puis le hasard ou alors ce qui reste inexpliqué… l’otite sans symptôme qui empêche ma fille d’entendre depuis je ne sais pas quand pcq je fréquente pas vraiment souvent le système de santé… (« vous l’aviez vraiment pas vu? »… « mais elle devait avoir mal »).

    Ou alors, un proche qui décède subitement après une chicane…

    Et puis, pour la majorité d’entre nous… le soulagement… pcq finalement, rien n’est arrivé ces fois-là.

    Comme une grosse roulette russe.

    Ça me touche beaucoup, beaucoup, beaucoup, ce texte. Merci pour ce partage.

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  5. j’ai beaucoup de peine pour vous, mais je voulais te dire qu’au moins ton petit Paul est parti en faisant ce qu’il aimait le plus au monde, têter le bon lait de maman, collé sur sa maman!

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