au creux de la vague

La douleur du deuil, comme celle des contractions, va et vient.

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Elle s’estompe doucement par moments, s’éloigne, puis revient tout d’un coup sans crier gare. S’abattant sur moi, m’emportant. Me prenant au ventre sans que je comprenne complètement ce qui la déclenche.

Le gilet à rayures de marin, sur un autre petit garçon.
L’odeur dans le cou du cousin de Paul.
Le visage aperçu d’un futur papa insouciant.

 

L’insouciance. C’est peut-être ce qui me trouble le plus en ce moment. Parce qu’au fond de moi, j’ai confiance qu’un jour je pourrai revivre des joies, des satisfactions, d’autres peines aussi sûrement. Mais je ne serai plus insouciante. Le souvenir de la souffrance et de la détresse restera.

Pendant les 24 heures que j’ai passées à la maison de naissance, à faire connaissance avec les contractions, j’avais confiance. Pas seulement dans le fait que ça se terminerait éventuellement, mais aussi dans le sens de ce qui m’arrivais. Je tentais de me laisser emporter par les vagues successives. Je n’y arrivais pas toujours. Par moments, le contraste entre le bien-être qui m’habitait pendant les périodes de repos et la douleur qui s’imposait soudain à moi était trop grand. Je résistais. J’essayais de planter mes orteils au fond pour ne pas avoir à subir cette vague trop intense. Mais invariablement, elle m’emportait. La douleur était parfois immense. Mais elle avait un sens.

Isabelle Brabant, sage-femme et auteure du livre Une naissance heureuse, explique que la distinction entre douleur et souffrance se situe justement là. « La douleur désigne une sensation désagréable, extrêmement désagréable même. […] Quand on la ressent, on comprend d’où elle vient. La souffrance, elle, est d’un tout autre ordre, et vient du fait de se sentir abandonné[e], ignoré[e], submergé[e], impuissant[e], terrassé[e]. »

Je ne comprends pas ce qui m’arrive. Je lutte pour trouver du sens à la souffrance qui m’habite. Rien ne vient. Sauf la cruauté de la situation, qui se décline de tant de manières. Dans le visage peiné de celles et ceux qui m’aiment et qui aiment/ont aimé Paul. Dans la réalisation, chaque jour renouvelée, de la permanence de son absence. Dans les réveils difficiles, alors que je prends une fois de plus conscience de l’énormité de ce qui nous arrive. Dans tous ces moments que j’aurais aimé vivre accompagnée de Paul.

Chaque fois, la vague s’abat sur moi sans me donner le choix.
M’emporte. Me ballote. M’écrase au fond.
Puis, parfois, me laisse tanguer dans la houle. Dans cet entre-deux-mondes. Entre la peine dans nom et la vie normale. Où il me faut apprendre à vivre avec le mal de mer(e).

 

Référence : Isabelle Brabant, Une naissance heureuse : bien vivre sa grossesse et son accouchement, 2013. p.272.

Image :  La Grande Vague de Kanagawa

2 réflexions au sujet de « au creux de la vague »

  1. J’aime ton texte. Il me touche beaucoup. Les vagues, les maudites vagues.  On est là, sur la rive !  A-V

  2. Ping : imaginer | le marcassin envolé

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