Au début de la semaine, j’ai vécu un moment surprenant. Un de ces instants où le focus semble se faire de lui-même, rendant soudain limpide une réalité qui nous échappait jusque là. Une réalisation.
Je me sens bien.
Je ne suis plus au fond du gouffre, ni même en équilibre sur une corniche, tentant tant bien que mal de m’accrocher du bout des ongles pour m’en sortir.
Ma vie a retrouvé une relative cohérence — je n’ai plus constamment l’impression étrange de vivre une vie parallèle à ma « vraie vie » après avoir été arrachée de force à la trajectoire qui était la mienne.
Je me sens mieux.
Il y a deux ans, je ne savais pas si je réussirais à survivre à la mort de Paul.
Il y a deux ans, je ne croyais pas que je pourrais éventuellement me sentir « bien » ou « mieux ». Même « correct » me semblait inatteignable.
Mais ce qui est terrible avec ce « mieux », c’est tout l’oubli qu’il implique, forcément.
Dans ce « mieux », il y a le quotidien qui prend de la place, qui n’est plus aussi lourd, les projets qui se concrétisent, les défis qui me semblent être des occasions à saisir et non plus des obstacles insurmontables, le fait que j’ai la chance de vivre confortablement et bien entourée. Il y a Aimé aussi, qui me fait (re)vivre la magie de découvrir le monde pour la première fois, du bout de son petit index potelé.
Il y a tout ça mais il y a aussi l’oubli.
Ce que je réussis à oublier.
Ce que j’oublie malgré moi.
Ce que j’oublie…
Ce que me rappelle ce récent billet de Gretchen, où elle parle de l’horreur d’avoir vu son fils souffrir, et d’avoir vu son tout petit corps déformé par l’œdème et la douleur:
He was smashed. My poor baby was suffering, soon to die, and now, he was flattened.
L’horreur qu’elle décrit avant tant de puissance me projette en arrière.
Dans la chambre de mes parents.
Où après avoir laissé ma main quelques minutes sur la cuisse de ma mère, malade, j’ai découvert avec un mélange de peur et de fascination qu’elle avait laissé une empreinte claire.
Phénomène étrange, indicateur pour moi de la fin du normal.
Dans la pièce — chambre n’est pas tout à fait le bon terme — où Paul était installé.
Sur cette table — on ne peut parler d’un lit non plus — où il était couché.
Intubé. Ventilé. Percé.
Enflé.
En le voyant comme ça, je me souviens avoir été horrifiée par des détails qui, je sais bien, étaient marginaux par rapport à la gravité de son état général. Voir une intraveineuse cousue dans la peau de mon bébé reste horrifiant, même si c’est un détail dans une situation globalement désastreuse.
J’avais oublié. Ou du moins, choisi de ne plus trop y penser.
Je ne suis pas certaine de ce que je dois faire de ça. Du fait d’oublier, d’arriver à faire abstraction de ces souvenirs, d’arriver à fonctionner au quotidien.
J’avais promis de ne pas oublier. J’ai peur de trahir le souvenir de Paul, sa vie, sa présence magnifique, en faisant abstraction de ce qui m’a fait trop mal.
//////
je t’aime mon Paul.
toujours.
Moi aussi j’ai fait la même réalisation dans les dernières semaines. Et je me demandais si c’était cette nouvelle grossesse tant attendu ou seulement le temps qui passe qui m’amène à « oublier ». Je pense à mes jumelles tous les jours mais les sentiments ont beaucoup changés.
Je pense que c’est un phénomène normal (je suis en train de rattraper les premiers mois du cahier de bébé d’Aimé et je me rends compte que j’ai oublié beaucoup de détails, même si pendant que ça se passait, j’essayais vraiment d’absorber et d’en profiter), c’est juste que quand l’oubli va avec un deuil ou des événements difficiles, il me semble que ça devient vraiment plus dur à admettre… Ou du moins, on se pose pas mal plus de questions sur ce que ça implique.
Bisous à tes jumelles et à ta petite crevette.
Je ne crois pas à l’oubli pour ce genre de choses, c’est juste rangé quelque part dans un coin de cerveau car si ça ne l’était pas, comme au début du deuil, cela serait insupportable de revoir en boucle ces images, au-delà de la douleur. alors voilà, c’est rangé, pas oublié.
Et puis se sentir bien à nouveau et sourire ne peut jamais être une trahison pour nos petits, pour moi c’est un hommage à eux justement, parce qu’au final, ce qu’on est toutes devenues après, c’est grâce à eux. Bisous à Paul et Aimé!
Tu as raison, ces souvenirs et ces images sont bien là, rangées mais accessibles quand je décide d’y repenser. Mais au quotidien, ça me semble parfois comme une petite trahison à ma promesse de ne pas oublier…
Merci pour ton message. Bisous à ton petit soleil. xx
I have a friend who lost her young son to an accident. She and I had coffee around the time that Zachary would have been 1 year old, and I remember her talking about working with her therapist to understand that in order to live on, in a way, she had to « tuck away » the trauma and horror associated with her son’s death. At the time I couldn’t even comprehend at all what she meant. It almost felt like she was saying I should submerge my horrific memories, and I don’t like being told to submerge anything. But, I can glimpse, now, some of what she meant. It’s not like those memories will actually go away…, they just need a safe, shielded place to exist, so that life can happen.
I haven’t figured out how to operationalize this « tucking away », but I can see the necessity as one goes about pursuing meaningful (other) things in life.
Sending love, and remembering Paul.
I would be just as stuck if i had to find out how to operationalize this compartmentalization of my memories. I am surprised, really, that is has happened at all. In the months after Paul’s death, the experience of his days in the hospital and his death was ever present in my mind, sometimes making it impossible to think of anything else. I don’t really know when or how it happened — feeling like memories have already been tucked away. And i don’t quite know what to make of it.
Thank you for allowing me to reflect on this, as you see, your own memories struck a cord in me.
I hope as time passes, slowly, you find yourself less submerged by the vivid memories of what Zachary had to go through. xox