(se) souvenir(s)

Dans les semaines et les mois qui ont suivis le décès de Paul, chaque semaine portait le poids d’un anniversaire — il aurait eu six semaines, deux mois, trois mois… Paul est né un samedi soir et il est mort très exactement quatre semaines plus tard. Tous les samedis me semblaient lourds de sens, de souvenirs, d’avenir arraché. Les 1er du mois et les 4 aussi. Trois mois, six mois, neuf mois, un an…

Peu de temps après la cérémonie que nous avons organisée pour célébrer la vie de Paul et lui dire au revoir, je suis partie en voyage — en fuite — tentant d’échapper à tout ce qui me rappelait mon bébé. Les lieux, les objets, tout le temps libre qui aurait dû servir à prendre soin de lui… J’ai tenté de laisser tout ça, voulant croire que la souffrance et l’incompréhension resteraient aussi derrière moi, dans la neige et le froid.

Il a bien fallu me rendre à l’évidence que ni le soleil plombant ni l’aguardiente ni les paysages saturés de couleur et d’inconnu de parvenaient à me faire oublier. Loin des rues familières qui me rappelaient le trajet en ambulance, Paul luttant pour sa vie derrière moi, loin de la chambre qui aurait dû l’accueillir, loin du quartier où nous aurions dû faire de promenades hivernales, j’étais aussi loin de celles et de ceux qui savaient m’accompagner. J’avais besoin d’être seule face à cette peine trop immense pour être mise en mots, mais simultanément, je sentais le besoin d’être entourée, prise par la main et dans les bras. Dans mon mal-être sans nom, je voulais tout et rien et son contraire.

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Aujourd’hui, Facebook me rappelle qu’il y a exactement trois ans, alors que Paul aurait dû avoir exactement trois mois, je partageais cette photo.

Je me rappelle avoir tellement hésité avant d’oser la publier. J’étais en Colombie, dans cette tentative ratée d’exil de la vie quotidienne. Je voulais crier à quel point Paul continuait d’exister en moi, je voulais dire toute la place qu’il occupait dans ma tête, dans ma vie. J’avais peur de déranger, peur de prendre trop de place. Je cherchais maladroitement les mots pour partager la douleur qui m’habitait.

J’avais eu besoin de solitude et de distance. J’avais passé deux semaines à peu près seule, puis quatre en tête-à-tête avec P. Je m’apprêtais à rentrer au Québec après ces six semaines de cavale inutile et je sentais qu’il fallait que je nomme tout ça — mes besoins contradictoires, ma peine qui n’en finissait plus de grandir, mon envie que Paul continue d’exister pour d’autres que moi, que nous.

J’ai fini par écrire et par partager ces mots qui ne suffisaient pas. Les premiers mots de ce qui a commencé à prendre forme quelques jours plus tard. Des textes, un blogue, beaucoup d’espace et d’échanges et de réflexions et de larmes et de douceur.

Il y a trois ans exactement, j’écrivais

Il y a trois mois, j’en arrivais au bout des heures parmi les plus intenses de ma vie pour enfin rencontrer Paul. Mon bébé. Que j’avais tellement attendu. Que j’ai tellement aimé. J’aurais envie de tout dire sur lui et sur les semaines merveilleuses qu’il nous a permis de vivre.

Je voudrais pouvoir partager une photo de nous deux et que ça soit simple et heureux et banal.

Ça ne l’est pas.
Mais je le fais quand même.

Je l’ai fait. Et on m’a répondu, en ces termes et en d’autres, que je pouvais, en effet « tout dire ».

Je continue d’essayer.

 

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