changement/s

Je ne sais pas à quel moment j’ai arrêté de pleurer tous les jours, après des mois à cohabiter quotidiennement avec les larmes en tout genre — les silencieuses et celles qui ressemblaient à des cris, celles de la rage et du désespoir, celles qui se mélangeaient à des souvenirs heureux et furtifs, celles de la fatigue d’avoir trop pleuré. Éventuellement, sans m’en rendre compte, les pleurs se sont faits moins violents, moins fréquents.

Pendant longtemps ensuite, la vue d’une poussette, d’un ventre arrondi ou d’un bébé de l’âge de Paul suffisait à me chambouler, à désorganiser mes heures et mes journées. Ça s’est poursuivi après l’arrivée d’Aimé, mais petit à petit, j’ai retrouvé un genre de normalité émotionnelle. Les bonnes journées ont pris le dessus sur les moins bonnes. Les moments de découragement et de tristesse débordante se sont espacés.

Ils sont devenus rares.

Je ne dirais pas que je me sens comme avant. J’ai changé. Le passage de Paul dans ma vie a laissé des marques indélébiles. Il a transformé qui je suis. Et puis Paul accompagne mes pensées, toujours.

Je ne sais pas à quel moment j’ai commencé à pouvoir me souvenir de Paul, à pouvoir parler de lui, sans qu’une tristesse infinie ne me submerge. La tristesse demeure, la culpabilité aussi, mais elles ne sont plus automatiques-partout-tout-le-temps.

Aujourd’hui, je me rends compte que je ne sais pas non plus quand j’ai arrêté d’associer toute tristesse, tout accès de découragement avec Paul, avec sa mort.

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Je me sens un peu déboussolée ces temps-ci. J’ai terminé la rédaction de mon mémoire et je ressens un vide devant l’aboutissement de ces deux années d’études. La recherche d’emploi me laisse perplexe et un peu refroidie. Je me questionne sur la suite sans trop savoir où j’ai envie d’aller.

Aimé a eu des nuits agitées récemment. La fatigue s’accumule. La nôtre comme la sienne. Il est plus impatient que d’habitude — et moi aussi d’ailleurs.

Il teste les limites en tout genre. Il apprend et se développe, arrive à accomplir ce qui lui était impossible à réaliser il y a un mois ou une semaine. Il est souvent charmant, il me rend fière et étonnée et enthousiaste. N’empêche qu’il me pousse aux limites de ma patience, par moments (assez souvent ces jours-ci), et que je trouve ça difficile.

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Cet après-midi : un moment de déprime et de frustration, d’impression de tourner en rond, de tristesse, d’errance. Je me sens incompétente. Je sais que ce n’est pas tout à fait vrai mais je n’ai pas envie de me raisonner. Les larmes montent, comme l’envie de donner des coups de pied. Ça va passer, je me dit. Je vais trouver quoi faire, on va bien finir par recommencer à dormir. La soirée va se terminer. Ça va passer.

Quelques heures plus tard, déjà, les choses se tassent.

Laborieusement, Aimé s’est endormi. Dans la chambre sombre, sa respiration régulière accompagne mes pensées.

Je constate, étonnée, que mes larmes dépitées n’avaient rien à voir avec Paul. Je ne sais pas si c’est la première fois que ça m’arrive, mais c’est la première fois que je m’en rends compte.

Ça aussi, ça a changé.

IMG_6034.jpg

le temps passe / un mur en Colombie (2014)

2 réflexions au sujet de « changement/s »

    • Merci pour les bons mots. J’avais oublié cette conversation d’il y a déjà 3 ans! Bilan-résumé : Aimé a des jouets en bois mais ma patience n’est pas infinie — pis c’est correct comme ça. Je trouve ça intéressant de nous relire, ça relativise un peu ce sentiment d’incompétence… xx

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