la mousse des bois

Quand Paul avait quelques jours, je me suis rendue compte que je ne connaissais pas vraiment de berceuses. Je lui chantais d’autres chansons mais il me semblait que ça manquait à mon répertoire, des vraies chansons de bébé.  J’ai cherché un peu sur internet pour me remémorer des paroles de berceuses entendues quand j’étais petite. J’ai retrouvé Une chanson douce, dont je ne connaissais que le début. Je l’ai fredonné plusieurs fois à Paul, quand il était sur le point de s’endormir. Comme certains passages me plaisaient moins, j’avais fait quelques modifications. Mais j’aimais les images que l’ensemble m’évoquait. La peau si douce, l’odeur du sous-bois…

Une chanson douce
Que me chantait ma maman
En suçant mon pouce
J’écoutais en m’endormant

Cette chanson douce
Je veux la chanter pour toi
Car ta peau est douce
Comme la mousse des bois

La petite biche
Ce sera toi si tu veux
Le loup on s’en fiche
Contre lui nous serons deux

Une chanson douce
Que me chantait ma maman
Une chanson douce
Pour tous les petits enfants

Cette chanson douce
Je veux la chanter aussi
Pour toi, mon p’tit mousse
Jusqu’à la fin de ma vie
Jusqu’à la fin de ma vie…

(ma version de la chanson d‘Henri Salvador)

 

Le loup on s’en fiche / Contre lui nous serons deux
Je chantais avec l’assurance que j’allais être là pour lui, aussi longtemps que je serais en vie. La fin de la chanson, d’ailleurs, évoquait la permanence, le temps qui s’étirait loin devant nous.

Vers la fin du séjour de Paul aux soins intensifs, quand il est devenu clair qu’il allait partir, j’ai recommencé à lui chanter. Les deux premiers jours, je lui répétais des encouragements et des je t’aime dans l’oreille. Mais à la fin, je savais que ce n’était plus ce dont il avait besoin. Ni ce dont moi j’avais besoin. Pour essayer de tenir, je parlais à Paul, je tentais de prendre soin de lui. De faire quelque chose, n’importe quoi. Je lui chantais cette chanson en effet si douce au creux de l’oreille. Mais je n’arrivais jamais à finir. Ma voix se perdait dans les dernières lignes. J’éclatais en sanglots. En morceaux.

C’est peut-être un peu cette chanson qui a cristallisé la place de la forêt dans l’imagerie qui entoure Paul dans mon esprit. Avant son arrivée, l’idée était déjà là, c’est ce qui m’avait inspiré en préparant sa chambre. En rêvant de projets estivaux, d’aventures sylvestres. Puis, dès les premiers jours de la vie de Paul, son statut de petit marcassin s’est confirmé. Quand on l’a amené dans la forêt autour du chalet où on a passé quelques jours, je le sentais à sa place. Je nous sentais à notre place.

La cérémonie pour Paul s’est bâtie autour de cet imagier de la forêt. Les arbres, les feuilles, les herbes, entre racines et envol vers le ciel. Et dans mon cœur, mon petit marcassin qui cabriole.

 


 

Je me sens épuisée. Étourdie de me rendre compte que ce deuil n’est pas qu’un mauvais moment à passer. Plutôt, c’est un chemin interminable qui s’étire devant moi, parsemé de ce qui semble être, vu d’ici à tout le moins, des trous, des bosses, des crevasses et des ponts suspendus sur le point de s’effondrer. J’ai peur de ce chemin. Mais je me rend à l’évidence qu’il n’y en a pas d’autre. Pas de télésiège pour survoler tout ça. Peut-être quelques chemins de travers. De petites boucles pour me reposer un peu, admirer le paysage. Avant de reprendre la longue route. Le chemin sans destination claire, sans tâches à accomplir.

Ce sentiment d’impuissance et de désœuvrement m’habite depuis la fin janvier. Depuis que l’urgence des premiers instants qui ont suivi l’arrêt cardiaque de Paul s’est calmée. Depuis que les mots état stable mais critique nous sont tombés dessus. À l’hôpital, je m’accrochais à la réalité, j’essayais de prendre part aux soins prodigués à mon bébé, même si les fils et les machines branchés partout rendaient la moindre manœuvre, le moindre bisou, compliqués.

Au cours des dernières heures, à mesure que le personnel a évacué les machines devenues caduques suite à notre décision de laisser partir Paul quand il serait prêt, on a retrouvé, un petit peu, notre enfant. L’infirmière qui s’occupait de lui nous a accompagné alors pour laver notre bébé chat, doucement, pour la dernière fois. Elle nous a aidé à recréer un peu de l’utilité que nous aurions dû avoir, qui se crée habituellement dans la succession des petites tâches du quotidien.

Puis, on est passé de ce qui aurait dû être tellement normal — laver notre enfant — à ce qui est aux antipodes de la normalité — voir mourir notre enfant. L’extrême désœuvrement.

 

3 réflexions au sujet de « la mousse des bois »

  1. I know that feeling of not being able to sing all the way through a precious lullaby. When we knew it was the end for Zachary, my singing sputtered and failed – such a sorry attempt at making something lovely for my boy, in his suffering. And, the everydayness of changing Zachary’s diaper, of washing his face and body, took on a whole new meaning and criticality when we knew he was going to die.

    Yes, this landscape of grief stretches out far, far ahead of us. I too am afraid of the scenery and stops along the way. It is not a road I had ever imagined or wanted. It does not look welcoming.

  2. Ping : immobilité | le marcassin envolé

  3. Ping : la musique | le marcassin envolé

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