incertitudes – la suite

Salle d’attente, avant notre rendez-vous en médecine génétique. J’ai marché jusqu’ici à contrecœur. Je ne veux pas être là. Nous donnons nos cartes et informations à la réceptionniste. En arrière-plan, un enfant qui pleure. Nous nous assoyons dans un coin. Le petit garçon continue de pleurer, ses parents l’ignorent. Il pleure plus fort tout d’un coup. Sa mère lui pose la main sur la bouche et lui dit de se taire. Je détourne les yeux. J’ai envie de pleurer et de crier et de vomir. J’ai envie de leur dire de s’occuper de leur fils. Pendant quelques instants, mal-à-l’aise, j’oublie presque pourquoi je ne veux pas être ici même si la situation me semble de mauvais augure. Le nom du petit garçon est appelé à l’interphone, la famille s’éloigne et avec elle, le son déchirant des pleurs. Je suis soulagée un instant, puis le stress par rapport à ce qui nous attend se réinstalle, quelque part entre le fond de ma gorge et mon estomac qui se serre.

Je se sais toujours pas ce que je fais là, ni à quel point je souhaite encore chercher des réponses aux questions qui me semblaient tellement urgentes l’hiver dernier.
Qu’est-ce qui s’est passé? Comment un bébé en santé peut mourir comme ça? Et pourquoi, surtout?

Je me rappelle des premiers instants à l’hôpital. Ce pourquoi m’obsédait. Je me rappelle l’avoir répété aux médecins qui ont traité Paul. Qu’est-ce qui a pu se passer? Je me rappelle, très peu de temps après être arrivée à l’hôpital, avoir dit à la travailleuse sociale qui nous avait été assignée que si j’avais été frappée par une voiture, je me sentirais soulagée d’avoir une cause externe à blâmer plutôt que de ne pouvoir m’en prendre qu’à moi-même. Elle a eu la présence d’esprit de me faire remarquer que même si c’était le cas, je serais tout à fait capable de me blâmer d’avoir été dans la rue au mauvais moment. Peut importent les circonstances, j’aurais été capable de m’en vouloir. Elle avait raison. Et même si j’ai continué le même monologue intérieur – pourquoi, pourquoi, pourquoi – pendant des semaines, les explications de la TS ont fait leur bout de chemin dans mon esprit. J’ai pris conscience qu’aucune explication rationnelle et factuelle ne réussirait à étancher ma soif de comprendre ce qui s’est passé, de trouver un sens à une mort insensée. Aucune « réponse » ne pourra nous ramener Paul, sa mort est permanente et tout à fait insensée. Mais avec le temps qui passe, elle fait sa place dans ma vie. Elle reste incompréhensible et cruelle mais tout doucement, elle devient plus familière.

Pendant des semaines et des mois, j’ai eu l’impression de retenir mon souffle, d’attendre d’avoir enfin des réponses à nos questions. Puis, les réponses, partielles, sont arrivées. Elles étaient insatisfaisantes et douloureuses, évidemment. À ce moment, en avril dernier, j’écrivais :

Les résultats qu’on a reçus ne sont pas définitifs. On nous parle de causes probables. Il reste des zones floues, des tests à passer. Peut-être des réponses à venir. Mais peut-être pas non plus.
En attendant, il nous reste certainement à apprivoiser l’incertitude. À vivre avec cette peine sans aucun sens.

Et au fil des semaines, je me rends compte, j’ai commencé à mieux cohabiter avec cette incertitude. Petit à petit, j’ai fait la paix avec l’inconnu qui entoure la mort de Paul, notre bébé que tout le monde disait en pleine santé.

J’avais peur d’entrer dans le bureau de la généticienne à qui le médecin qui a traité Paul nous avait référé. J’avais peur que sans en faire vraiment le choix, nous nous embarquions dans une batterie de tests sensés nous apporter la paix d’esprit mais qui auraient risqué de faire tout le contraire. En même temps, je me sentais forcée d’y aller par acquit de conscience. Finalement, je ressors de ce rendez-vous angoissant avec un poids en moins sur les épaules et la conviction que nous aurons cherché des causes autant qu’il était souhaitable et raisonnable, tout en faisant preuve d’une certaine retenue, d’un respect pour les aspects imprévisibles et incompréhensibles – voire mystérieux – de la vie et de la mort.

En cette fin d’après-midi ensoleillée, je me sens à peu près sereine.

4 réflexions au sujet de « incertitudes – la suite »

  1. The answers, if we get them (wholly or partially), are so unfulfilling. As you say, to make sense of the senseless, of Paul’s death, is actually impossible and futile. And, the eeking out of bits of answers over time creates an anti-climax each time…, No matter. He is still dead. Life is still forever changed. (Or at least, that is how I’ve felt at each medical discussion we have had with doctors after Zachary died.)

    Perhaps that is why we start to be able to live with uncertainty about it.

    I am glad you went and « conquered » this. I will be here to listen if/when results are helpful, or not. No doubt, they will trigger some difficult grief response(s).

    • The time leading up to the appointment was stressful but i think mostly because i was scared that they would assume we want to keep searching for answers no matter what. Turns out they understood where we are better that i expected… I find myself surprisingly calm — as if all of this didn’t matter very much compared to the enormity of Paul’s death…

  2. J’ai lu ce blogue pendant que j’étais en voyage en Espagne. Je n’ai pu te répondre mais cela ma rappelé un événement que j’ai vécu lorsque j’étais infirmière dans un poste isolé du grand nord, il y a de cela plusieurs années.
    Un enfant de quelques mois se présente au dispensaire en pleine nuit avec son père. En ce temps l’infirmière habitait dans le même édifice que le nursing. Je suis seule et je me lève rapidement. Je constate qu’il est en arrêt cardiaque. Je connais tous les enfants du village et celui-là était en bonne santé aux dernières nouvelles. Je suis seule et je n’ai accès au médecin que par radio téléphone. Pas le temps de toute façon. Je commence immédiatement les manœuvres de réanimation. Pas de machine pour me soutenir. Je fais les messages cardiaques et la respiration artificielle. Aucune réaction. Je m’acharne. Je vais le sauver. C’est mon devoir et ma responsabilité. Je vais y arriver. Après plusieurs minutes de manœuvre, c’est le père qui me dit d’arrêter. Il a déjà accepté que son enfant soit mort. Pas moi. La différence? Ils acceptent depuis des millénaires que la mort soit la continuité de la vie. Ils acceptent l’incertitude. Dans bien d’autres occasions par la suite, j’ai pu constater ce trait culturel chez les inuits que certains appellent le défaitisme mais qui leur a aidé à survivre à travers bien des épreuves.
    Dans notre culture, en particulier la culture médicale, on se pense de plus en plus puissant contre la mort, en particulier celle d’un enfant. Parfois des médecins ou des infirmières peuvent sembler peu emphatiques devant un événement comme celui que vous avez vécu. Mais il se peut qu’ils considèrent cela comme une défaite et ne se l’avouent pas.

    Bref, les inuits m’ont appris l’incertitude et il faut que je me le remémore périodiquement. Ayant vu Paul en si bonne santé quelques jours seulement avant cet événement fatidique, je ne pouvais comprendre ce qui est arrivé. J’avoue que je suis retournée dans mon ancien schéma. Je me disais que il devait bien y avoir une cause pour cette mort prématurée, insensée.

    Mais je vois que tu évolues bien et que tu as compris que parfois il n’y a ni raison, ni cause. Nous ne sommes pas tout puissants.
    Il y aura encore des moments difficiles pour vous. Mais accepter l’incertitude est un bon pas dans la bonne direction.

    Colette

    • Merci Colette, pour ce partage. Ça m’a remué de lire cette histoire… En effet, je crois que d’autres cultures sont mieux outillées pour faire face à la mort. Ou plutôt, pour l’accepter comme faisant partie de la vie.

      Je continue de trouver ça difficile d’accepter, mais l’idée fait son chemin tout doucement dans mon esprit…

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