objectifs/subjectif

lampions1_FotorVendredi, P. et moi avions convié les gens qui le souhaitaient à se souvenir de Paul, six mois après son décès, en allumant une chandelle pour lui. Nous avons reçu des témoignages de soutien et d’amour et de souvenirs, de nos proches mais aussi de personnes que je ne connais que par le biais de blogues ou d’autres espaces virtuels de soutien. Dans tous les cas, merci infiniment de vous souvenir de Paul et de son passage avec nous. Merci de continuer de rendre réelle sa vie, si courte ait-elle été. Merci d’être présentes et présents pour lui et pour nous.

Les photos et les messages que nous avons reçu m’ont aidé à m’accrocher et à terminer cette semaine tellement baignée par les souvenirs des dernières journées de Paul, en janvier. Nous avons passé la semaine en sa présence, laissant des traces de lui sur notre chemin.

Samedi, nous étions inscrits à une course à pied, la même où P. et moi nous sommes rencontrés. Une course que nous aurions tous deux souhaité courir en compagnie de Paul dans sa poussette. Finalement, nous avons tout de même pris le départ, Paul avec nous par l’esprit uniquement, présent dans le paysage magnifique de l’Isle-aux-Coudres. J’ai couru en pensant à lui, en l’imaginant à sept mois, en essayant de sentir le poids qu’aurait pesé la poussette que nous avions achetée justement pour ça mais qui prend la poussière dans notre sous-sol.

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J’ai l’impression de vivre accrochée au passé.

Entre avril et décembre 2013, j’ai vécu en me projetant dans le futur. J’imaginais ce que ma vie, notre vie, serait, une fois notre bébé arrivé. Je faisais des plans, j’organisais l’avenir et les détails techniques qui nous permettraient d’accueillir un nouveau-né. Je planifiais les rencontres qu’il ou elle ferait, les voyages, les aventures que nous aurions ensemble, je nous fixais des objectifs. À mesure que la grossesse m’a forcé à ralentir, imposant des siestes quotidiennes et un rythme que je trouvais anormalement lent, j’ai passé de plus en plus de temps à rêver au futur, à imaginer l’accouchement idéal, à m’y préparer, à faire travailler mon esprit pour réaliser, vraiment, qu’une fois cette étape-là passée, nous aurions un bébé.

Le bébé est arrivé, notre bébé. Notre quotidien s’est remodelé, comme de lui-même.

Une fois sortis de l’hôpital avec Paul, nous avons vécu au jour le jour, ou plus exactement, heure par heure, tétée par tétée. Le temps a pris une consistance nouvelle alors que mes sens se sont dirigés entièrement vers Paul. Répondre à ses besoins de chaque instant a un effet de rétraction du temps alors qu’une journée peut facilement s’écouler sans autre activité que la répétition tétée-couche-sieste dans un ordre ou un autre. Pourtant, j’ai tellement de souvenirs de ces journées pendant lesquelles la routine était pour moi une constante source de nouvelles découvertes. Je me prends souvent à réaliser que nous n’avons passé que trois semaines  entre la sortie de l’hôpital après la naissance et l’entrée de Paul aux soins intensifs. Comme dans les récits que l’on entend de la part des gens qui ont frôlé la mort, pour qui le temps a ralenti immensément pendant ce qu’ils croyaient être leurs derniers instants.

Les quelques 80 heures pendant lesquelles Paul était entre la vie et la mort, et nous dans la confusion totale, ont eu lieu hors du temps. Le personnel médical se succédait toutes les huit heures, seule indication qu’à l’extérieur de l’enceinte de l’hôpital, la vie continuait. Pour nous, le temps était arrêté. Soudain le rythme imposé par la cohabitation avec un nouveau-né était suspendu. Je sentais son absence intensément dans mes seins qui ne saisissaient pas le hiatus imposé par l’état de Paul. Je sentais mes bras désespérément vides, sans mon bébé, retenu à son lit par trop de fils et de machines. Je voulais le sentir près de moi. La séparation, après des mois de symbiose, était trop douloureuse. Le temps a passé, à la fois trop vite et tellement lentement. Paul est parti, puis un nouveau changement temporel s’est opéré.

Maintenant, depuis six mois, je vis dans le passé. Je passe du temps chaque jour à essayer de me remémorer les détails du temps partagé avec Paul, seule preuve tangible, dans mon esprit, du fait que je suis sa mère, qu’il est mon enfant. Je veux continuer de prendre soin de lui, même s’il n’est plus là, mais je me sens parfois déboussolée par l’absurdité de ce projet. J’essaie d’imaginer ce que ce serait de l’avoir avec nous, ici, maintenant, mais les semaines qui passent rendent cet exercice de plus en plus difficile.

Le fait est que nous avons pu partir camper une semaine sans nous soucier du temps passé sur la route, de la température dans la tente, des heures de repas ou de coucher. Nous avons repris une vie d’adulte sans enfant, je suppose, même si elle est teintée par le deuil et l’absence.

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En franchissant la ligne d’arrivée, je me rends compte que j’ai atteint, à 8 secondes près, l’un des objectifs que je m’étais fixés à la fin de ma grossesse, quand monter les escaliers nécessitait un effort non négligeable. J’ai tenu la seule résolution que j’ai prise à l’aube de l’année 2014, outre de la consacrer au bébé qui devait arriver d’une journée à l’autre – terminer au moins une course de 10 km en 2014. Réalisation douce-amère. Accomplir un objectif auquel j’ai donné de l’importance me donne l’impression de reprendre un peu de contrôle sur ma vie. Je me sens un peu « comme avant », mais juste un peu. Quand je croyais que les efforts menaient forcément au résultat souhaité. Quand je pensais que si je me préparais assez, tout irait bien. Avant que tous les objectifs et les projets qui me tenaient à cœur ne se désagrègent. La satisfaction furtive d’hier gâchée par le rappel de toutes mes attentes écrasées depuis le début de cette année.

 


Photo par ME.

3 réflexions au sujet de « objectifs/subjectif »

  1. I think it is amazing that you went ahead with the race, even as you intended to do it with Paul in tow.

    « When I thought that if I prepared enough, everything would be fine. » What a cruel way to come to the realization that this couldn’t be further from the truth. The innocence forever lost takes a toll, layers on top of the loss of the person, himself.

    I’m so glad you made it through the days leading up to Friday, then Friday itself, followed by the race. You must be emotionally exhausted. It is so evident how loved and cherished your sweet Paul is. I wish you had no need for this blog and that Paul’s stroller was being used daily, this summer, by your little family.

  2. Ping : capture your grief 9 / 10 | le marcassin envolé

  3. Ping : confusion | le marcassin envolé

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