Une demi-année à essayer de reprendre pied.
Nous passons quelques jours à camper, comme nous aurions tant souhaité le faire avec Paul. À la place, je pense à lui, au temps qui nous sépare. Il y a six mois, je sentais le sol se dérober entièrement sous mes pieds. La veille, le 29 janvier, avait commencé normalement, banalement. De la visite, des couches à changer, une bouche à nourrir, encore et encore, des bisous à donner. J’ai allaité Paul une dernière fois, sans me douter de quoi que ce soit, heureuse d’être là avec lui. Je m’apprêtais à envoyer des photos de lui et des lettres décrivant le bonheur que nous vivions de l’avoir enfin dans nos bras. Je regardais une dernière fois les photos avant de cacheter les enveloppes. Les premières photos imprimées de Paul, des images choisies parmi les centaines prises pendant ses trois premières semaines de vie. Les enveloppes seront finalement parties vers leurs destinataires une fois l’inimaginable arrivé, parce que ne pas les envoyer m’aurait semblé une insulte à la mémoire de Paul.
Je repense à ces derniers moments avant que tout bascule et j’imagine le temps suspendu. Quelque part entre le bien-être total et la plus affreuse détresse. Je repense à ces moments et je regrette, même si je sais à quel point c’est vain. Je regrette de ne pas avoir demandé à une employée de la pharmacie un endroit où m’asseoir pour allaiter. Je regrette de ne pas avoir regardé Paul alors qu’il tétait, comme je l’avais fait des dizaines de fois auparavant. Je regrette d’avoir été là plutôt qu’à la maison. Je regrette d’avoir appris que cette pharmacie, où j’entrais pour la première fois, est située à mois d’une minute de route d’un stationnement où des ambulances se trouvent en permanence, attendant les appels d’urgence. Je regrette de savoir que même ce court délai avant l’arrivée des secours n’aura pas suffi à sauver Paul. Je regrette. Je voudrais ne pas savoir tout cela. Je voudrais vivre dans l’ignorance de cette minuterie infernale. Je regrette de connaitre la procédure qui fait que nous avons vécu les pires heures de notre vie accompagnés de deux policiers, traités comme des coupables. Je regrette de continuer à me demander si je le suis. Coupable. Responsable.
Six mois. Je n’arrive pas à me défaire de mon attachement pour cette image de deux sentiers parallèles, deux parcours possibles, l’un niant l’existence de l’autre mais lui donnant tout son sens aussi. Dans l’un des sentiers, nous accompagnons notre enfant, nous le découvrons, nous le regardons grandir. Dans l’autre, les bébés de moins de six mois sont autant de claques qui nous rappellent tout ce qui nous manque. Dans l’un, nous capturons chaque jour les découvertes et les accomplissements pour pouvoir partager notre bonheur. Dans l’autre, nous continuons incessamment de regarder les mêmes photos, une collection inerte. Nous observons les menus changements opérés sur quelques semaines, puis la coupure cruelle, quelques photos de Paul dans nos bras pour la dernière fois, aux soins intensifs. À ce moment, il est dans nos bras parce qu’il n’y a plus de raison de le protéger des mouvements qui pourraient nuire à son rétablissement. À ce moment, il n’y a plus de rétablissement envisagé. Que la mort qui se rapproche, qui nous nargue, qui nous arrache le coeur. Que la douleur. L’impression distincte de sombrer.
Impossible de survivre à cette impression de fin du monde. Je me répète. Qu’est-ce qu’on va faire? Qu’est-ce qu’on va faire? Qu’est-ce qu’on va faire? Une litanie angoissante. Je ne crois pas pouvoir survivre. Je ne sais plus ce que je croyais. Qu’on peut mourir de trop pleurer, peut-être?
J’ai survécu. Je survis. Je pleure encore. Par moments, la plaie est aussi à vif que lorsque la mort de Paul venait d’arriver. Par moments, je sens que la cicatrice a pris. Elle est là, bien présente, elle me tiraille un peu mais elle ne me fait pas souffrir. Elle fait partie de moi, elle me constitue, me permet d’avancer malgré la blessure. Parfois, je me sens écrasée. Comme au premier matin, je n’ai pas le courage de me lever pour faire face à la réalité. Je fuis en m’abrutissant de séries télé, je ne veux plus parler, je veux me couper du monde. Puis le courage revient doucement. Je ressens une joie calme en épelant le prénom de Paul sur les rochers au bord du fleuve.
Hier, après avoir passé une nuit à camper sous la pluie avec A., une des supermatantes de Paul, et son amie, nous nous apprêtons à les quitter, P. et moi, à partir de notre côté. Nous sommes en haut d’une haute dune. Elle me demande si elle peut elle aussi écrire le nom de Paul dans les paysages. Pour moi, c’est évident que oui. Que ces gestes n’appartiennent pas qu’à moi.
A. suggère, un peu à la blague au départ, que l’on écrive son nom en très gros en bas de la dune, sur la plage, pour pouvoir le photographier du haut de la dune. Soudain, alors que je me sentais trop lâche pour descendre un instant avant, je me sens poussée par la perspective d’inscrire le son nom dans le paysage. On dévale la pente. On trace les lettres. Je me sens, soudain, heureuse de les écrire. P-A-U-L. Alors qu’on termine le L, des gens en haut de la dune, qu’on voit en miniature, crient en coeur « PAUL ». Tout le monde peut voir son prénom. J’imagine les quelques touristes, tout en haut ou en train de gravir la dune, le prononcer. J’éprouve une joie étrange. En remontant, m’arrêtant à quelques reprises pour prendre des photos, je me sens soudain un peu coupable d’avoir altéré le paysage surréaliste du bord du fleuve plein de gris et d’eau et de sable. Personne ne nous le reproche mais une part de moi regrette un peu. Puis, A. me rassure. Et je me dis que Paul mérite que l’on chuchote son prénom, qu’on le crie, qu’on le trace, en lettres immenses, pour rappeler son passage. Surtout aujourd’hui.
Je suis tellement désolée. Votre fils est si beau. Comme je l’ai dis sur le blog du petit soleil vos posts me font apprécier tous les moments avec mon fils encore plus … Je m’appelle Pauline … J’adore le prénom Paul ! Si j’avais pu j’aurais appellé mon fils Paul c’est un prénom que je trouve tellement top … J’ai appellé mon fils Jules 🙂 votre petit Paul est toujours là, il a marqué son histoire, moi de ma Bretagne j’y pense … Il ne va pas être oublié !Courage à vous et votre mari !
PAUL! 🙂 J’ai acheté des chandelles et je vais les allumer aujourd’hui…
A beautiful, beautiful, heart-breaking post. I am so sorry that the authorities suggested some sort of blame, during the first hours of your crisis with Paul. Through your words, I can almost feel your before, and in painfully stark contrast, your after. So much of your experience with Paul’s death resonates for me.
I am holding you close (from afar) today, thinking of Paul 100 times more often today, lighting a candle especially for him, six months from the day he died in your arms.
I hope the race goes well for you this weekend, as you carry Paul’s memory in every step.
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