J’ai l’impression de me répéter.
De revivre maintes et maintes fois les mêmes choses, de redire encore et encore les mêmes histoires. C’était très prononcé dans les semaines qui ont suivi la mort de Paul. Éventuellement, ça s’est calmé un peu. Mais un peu seulement.
Doucement, je m’habitue à l’idée mais je continue de sentir le besoin initial de dire. Dire la vie de Paul, son départ, le vide que sa mort a créé, mon expérience de mère, avant et après son décès. Je répète. Je me répète. J’essaie de me faire à l’idée. J’essaie de saisir la situation, littéralement. J’essaie de la comprendre, de la prendre avec moi, de la rendre mienne. J’essaie de combattre le sentiment d’irréalité qui s’est imposé dès les premiers instants où j’ai su que quelque chose n’allait pas, que Paul allait mal.
À ce moment, je m’étonnais encore de la présence de Paul. J’imagine que je ne suis pas la première à avoir vécu ce sentiment surprenant. Prendre la mesure de la beauté du processus à la fois si simple et si complexe qui permet la conception. S’extasier devant la magie nécessaire pour qu’un humain en bonne et due forme pousse dans le corps d’un autre. D’une autre.
Je m’habituais doucement à l’idée d’être parent, puis soudainement j’ai dû faire face au défi incommensurable de m’habituer à ne plus l’être. Ou du moins, plus au sens simple et entendu du terme. Devenir parent a été un processus ponctué de préparatifs et de rituels, certains personnels — lire beaucoup, imaginer ce qui m’attendait, regrouper les éléments matériels nécessaires à la venue d’un bébé — d’autres, le fruits d’efforts collectifs — recevoir des conseils, sollicités ou pas, ainsi qu’un shower revu et corrigé, suivre des cours prénataux, organiser mon congé parental… Au terme de tous ces préparatifs, et malgré la joie non ambiguë que l’arrivée de Paul m’a fait vivre, j’avais de la misère à y croire. Je n’avais pas encore ajusté pleinement le narratif de ma vie pour y inclure un nouveau protagoniste principal.
La mort de Paul a été un électrochoc dans ce processus de réflexion. À peine entrée dans la parentalité, j’ai fait face à l’une des choses dont les parents ont le plus peur. Mon enfant est décédé. Avant moi. Je continue d’essayer de saisir ce que cela représente réellement dans l’histoire de Paul, dans la mienne, dans celles de nos familles, qui l’accueillaient en leur sein. J’ai écouté l’autre jour une conférence en ligne sur les rituels funéraires des Torajas (je profite vraiment de mes semaines de congé apparemment). Pour ce peuple, les funérailles sont des événements sociaux plus célébrés que les naissances ou les mariages. Vue leur envergure, les cérémonies funéraire ont lieu parfois des mois après le décès de la personne. Pendant cette période, les familles continuent de cohabiter avec la personne décédée, qu’elles considèrent comme malade ou endormie, la mort plus définitive n’arrivant qu’après le rituel de passage. Si ces pratiques semblent particulières d’un point de vue occidental, elles me semblent intéressantes de par le laps de temps qui est considéré comme raisonnable pour s’habituer au décès. Pendant des semaines ou des mois, la famille d’un-e défunt-e prend acte du départ et l’inscrit dans l’histoire familiale… Je ne prétendrai pas avoir compris les subtilités de leurs rites funéraires mais j’ai trouvé cette cohabitation avec la mort particulièrement intéressante, surtout à la lumière des témoignages de nombreux parents que j’ai lus au cours des derniers mois. Des parents qui, hébétés par la mort de leur enfant, n’ont pas eu le réflexe de passer du temps avec lui et en sont déçus, voire démolis.
De notre côté, nous avons eu la « chance » de pouvoir dire au revoir à Paul alors qu’il était toujours en vie, et de l’accompagner jusqu’à la fin. Nous avons invité nos familles à le voir de nouveau après son décès mais à mesure que le temps passait, j’étais de plus en plus mal à l’aise. Comme si nous n’étions plus légitime de l’entourer ou de le prendre dans nos bras puisqu’il était décédé. À ce moment-là, je trouvais important de le voir mort mais il m’aurait paru insensé de prendre soin de son corps après son décès. A postériori, je me questionne sur ces réactions et j’entrevoie la détresse qui doit habiter les parents qui n’ont connu leur bébé qu’après ce passage vers la mort. Si Paul avait été mort à la naissance, je me demande si j’aurais su voir l’importance de le prendre, de prendre soin de lui malgré tout, ou si j’aurais eu la même réaction que lorsque nous l’avons quitté pour la dernière fois à l’hôpital, essayant de me convaincre qu’il n’était déjà plus là.
Depuis ces adieux dans une chambre froide des soins intensifs pédiatriques, les hauts et les bas se succèdent, les dates significatives s’additionnent, ma quête de sens face à l’insensé se poursuit. Avec le temps qui passe et le choc de cette situation insensée qui ne s’atténue pas, je me rends un peu mieux compte des besoins auxquels répondent les religions organisées. Dans les moments où la réflexion et la créativité sont noyées par la douleur, les pratiques religieuses / traditionnelles offrent des rituels prêts-à-utiliser à ceux et celles qui en ont besoin. Ils dictent les gestes à poser, les paroles à prononcer. J’ai longtemps trouvé que ces mots prescrits, par la religion catholique par exemple, sonnaient vide. Mais par moments au cours des derniers mois, j’ai regretté de ne pas avoir de rituels prédéterminés sur lesquels me rabattre à l’occasion.
Tout de suite après la mort de Paul, nous avons souhaité prendre un moment collectif pour souligner son passage parmi nous. Nous souhaitions permettre à ceux et celles qui l’avaient connu de lui dire au revoir, nous voulions aussi utiliser ce moment pour permettre une première rencontre pour ceux et celles qui n’avaient pas eu la chance de rencontrer Paul. Je crois qu’à ce moment, avec l’aide précieuse de plusieurs personnes, nous avons réussi à offrir à Paul un rituel fidèle à nous-mêmes et à l’idée que nous nous faisions de notre fils. (J’en reparlerai éventuellement.)
Depuis, nous tentons de développer d’autres rituels qui nous conviennent, et qui nous permettent de partager l’importance de la vie de Paul, et de faire face au vide que son départ à laissé. Sans avoir la prétention de réinventer des symboliques, nous souhaitons souligner ce vendredi les six mois qui se sont écoulés depuis le décès de Paul en allumant des chandelles et en invitant les personnes qui le souhaitent à faire de même. Je partage donc ici le texte préparé par P. et moi…
Avant l’arrivée de Paul, il y a eu une rencontre, il y a trois ans, au départ d’une course sur l’Isle-aux-Coudres. Samedi prochain, nous retournons sur l’île pour refaire cette course. La veille, le vendredi 1er août, Paul nous aura quittés depuis exactement six mois.
Dans nos projets, les courses devaient dorénavant inclure Paul, dans son chariot acheté exprès. Faute de pouvoir célébrer la présence de notre petit marcassin, nous souhaitons tout de même souligner l’anniversaire de son départ. Vendredi soir, nous allons allumer chacun et chacune un lampion à la mémoire de Paul. Nous les laisserons allumés de 19h55 à 20h, c’est-à-dire à peu près à mi-chemin entre l’heure de sa mort et celle de sa naissance.
Ce laps de temps représente pour nous la vie qui refuse d’abdiquer, le dernier combat de notre petit marcassin, la preuve qu’on peut trouver la force d’avancer même quand tout semble sombre.
Pendant ces cinq minutes de recueillement, nous voulons disperser une partie des cendres de notre bébé dans le fleuve. Elles pourront un jour rejoindre les autres cendres que nous avons jetées à la mer le 22 mars dernier dans un site paradisiaque de la côte caraïbe de la Colombie.
Nous invitons les personnes qui désirent nous accompagner à allumer une chandelle de 19h55 à 20h vendredi prochain. Si vous le souhaitez, vous pouvez partager ici vos idées, initiatives personnelles ou photos. Cela nous donnera la plus belle des énergies pour la course du lendemain…
Photos
1- Des branches portant des messages pour Paul.
2- Par Morgane : les lampions allumés par trois amies et matantes de Paul le jour de son décès.
Six mois… Ça doit être si long pour toi… Mais je suis d’accord avec les rituels Torajas : c’est très court! En fait, j’imagine que le temps doit être une donnée plutôt floue en ce moment… Je vais allumer une chandelle vendredi. Pour Paul. Et pour toi et P.
merci, petites vagues.
Assurément que je vais allumer une chandelle ou un lampion vendredi, le 1er août et ce, en profonde communion de pensées avec vous trois, Paul, Typhaine et Patrice. Je vais aussi inviter à faire de même les personnes qui m’entourent et pour qui Paul a une place privilégiée dans leur coeur.
merci Denise. xxx
Quelle touchante et belle idée. Je vais participer. Je pense beaucoup à vous.
merci Mireille.
Une fois par an, en septembre si je ne m’abuse, on installe un sorte d’autel. Avec des chandelles, des feuilles de coca, des verres d’alcool et les photos de nos grands-parents, à moi et Gabriela. Il y a un moment précis (je pense à midi) ou les esprits doivent venir nous visiter. Au début je trouvais ça un peu drôle. Puis je me suis dis que c’était un bon moment pour avoir une pensée envers ceux et celles qu’on a perdus. C’est pas comme si on prenait souvent le temps de le faire dans nos vies aux rythmes effrénés.
J’ai mis l’événement à mon agenda.
Belle façon en effet, de prendre un temps pour penser à celles et ceux qui sont passés et qui sont partis avant nous…
It is not enough to express my deep sorrow and wish to comfort you, but I will light a candle to burn for Paul on Friday. I know that today, and the days leading to Friday, are heavy, as you remember the torture of those last days, six months ago. Please know that I am thinking of you and Paul and P, this week. If you need a knowing ear, please email me…. I’m here.
thank you so much Gretchen. I am trying to take time this week, trying to comprehend the death of Paul as part of his life, and mine, and not just as a traumatizing event, even though it is also that…
We will see what friday brings.
Ping : Six chandelles, une pour chaque mois | Découvrir la maternité