un peu de sens

C’est un lieu commun de dire qu’en occident, on ne sais plus trop comment vivre un deuil, et plus encore peut-être, qu’on a collectivement oublié comment agir en présence de personnes qui vivent la perte d’un être cher. Les livres de croissance personnelle et les sites web consacrés à la question sont légion : il faut bien apprendre quelque part comment être en deuil si on a pas intégré l’information de manière plus organique.

J’ai été privilégiée à cet égard. Contrairement à plusieurs parents que j’ai entendu dans des groupes de soutien ou dont j’ai lu les mots sur des blogues et forums, j’ai surtout reçu beaucoup d’écoute et de patience et d’affection suite au décès de Paul, et encore maintenant. Mais je vois bien que ça reste délicat pour plusieurs de savoir comment parler de Paul, de sa vie et de sa mort, surtout maintenant que son petit frère contribue à donner l’illusion qu’on est passés à autre chose. On m’a demandé plusieurs fois si je voulais qu’on parle de lui (oui!) et si ça me faisait de la peine d’en parler (oui, mais c’est correct) ou d’entendre des comparaisons avec Aimé (ça me fait plaisir qu’ils soient traités comme les deux frères qu’ils sont). Lire la suite

je n’ai pas rêvé

Les bébés continuent de naître. Paul n’est plus là et pourtant, d’autres bébés naissent. Ils naissent, ils grandissent, tout doucement, continuellement. Leurs parents les découvrent et les redécouvrent jour après jour, se réveillent la nuit pour s’en occuper, voient leur peau se défriper, leurs yeux commencer à les reconnaître, leur cou se renforcer jusqu’à pouvoir soutenir leur tête encore lourde et surdimensionnée.

Et puis quoi, ensuite? Je ne sais pas trop. Les bébés naissent, mais Paul n’est plus là pour me faire connaître la suite. Chaque jour porte le renouvellement de son absence. Chaque semaine, chaque mois, nous sommes privés d’une nouvelle étape de sa vie. Il en est privé, j’en suis privée. Chaque instant alourdi par son départ, et par l’étourdissante permanence de sa mort. Tous les jours et toutes les minutes de toute ma vie sans lui. C’est tellement long. La vie de Paul a été tellement courte. Lire la suite

répétitions/rituels

J’ai l’impression de me répéter.
De revivre maintes et maintes fois les mêmes choses, de redire encore et encore les mêmes histoires. C’était très prononcé dans les semaines qui ont suivi la mort de Paul. Éventuellement, ça s’est calmé un peu. Mais un peu seulement.

Doucement, je m’habitue à l’idée mais je continue de sentir le besoin initial de dire. Dire la vie de Paul, son départ, le vide que sa mort a créé, mon expérience de mère, avant et après son décès. Je répète. Je me répète. J’essaie de me faire à l’idée. J’essaie de saisir la situation, littéralement. J’essaie de la comprendre, de la prendre avec moi, de la rendre mienne. J’essaie de combattre le sentiment d’irréalité qui s’est imposé dès les premiers instants où j’ai su que quelque chose n’allait pas, que Paul allait mal.

À ce moment, je m’étonnais encore de la présence de Paul. J’imagine que je ne suis pas la première à avoir vécu ce sentiment surprenant. Prendre la mesure de la beauté du processus à la fois si simple et si complexe qui permet la conception. S’extasier devant la magie nécessaire pour qu’un humain en bonne et due forme pousse dans le corps d’un autre. D’une autre.
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chercher du sens

Il y a quelques semaines, lors d’une rencontre de groupe de soutien, l’animatrice nous parle de la recherche de sens comme un aspect incontournable du deuil, comme une étape essentielle à un deuil qui permet, éventuellement, de revivre. J’ai des doutes. Je ne vois pas de sens à la mort de Paul. Et je ne suis pas certaine de vouloir en trouver.

Il y a deux jours. J’écoute une émission qui présente des extraits de conférences TED pour m’encourager à terminer une course (un peu) longue. Dans l’un d’eux, il est question de la persévérance de différent-e-s athlètes face aux obstacles rencontrés dans leur vie et dans leur carrière. L’émission présente le parcours d’Amy Purdy, une snowboardeuse qui a remporté deux coupes du monde et participé aux jeux paralympiques de Sotchi après avoir subi une amputation des deux jambes à l’âge de 19 ans à cause d’une méningite fulgurante. Dans sa conférence, elle parle du processus par lequel elle est passée pour donner du sens à cette expérience, elle qui, quelques années auparavant s’était dit que si elle un jour elle perdait l’usage de ses jambes, elle mettrait fin à ses jours.
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quelques problèmes de la dichotomie aidée/aidante

Une petite note avant de commencer : ça fait quelques jours que j’ai envie d’écrire un peu sur l’organisation des groupes de soutien aux personnes endeuillées suite à ma très courte expérience avec deux groupes dont j’apprécie le travail. Mon point de vue est probablement très limité mais je me lance tout de même… J’imagine que ça sert aussi à ça un blogue.

 

Je travaille dans un milieu où on parle beaucoup de « passer du je au nous ». Quand j’échange avec les personnes qui viennent demander du soutien ou des ressources au groupe pour lequel je travaille, j’essaie de trouver une petite ouverture pour aborder la façon dont leurs problèmes s’inscrivent dans un cadre plus large. Dans certains cas, c’est clair pour les gens qu’il y a des causes structurelles qui sous-tendent ce qu’ils vivent. D’autres fois, ce n’est pas si simple. Dans ces cas-là, j’essaie, quand c’est possible et opportun, de planter une petite graine de cette réflexion qui me semble incontournable : les problèmes vécus par les individus s’inscrivent dans un contexte socio-culturel donné, et les « vraies » solutions à ces problèmes impliquent une remise en question de structures sociales problématiques.

Cette façon de voir les choses me guide en dehors du travail. C’est moins une déformation professionnelle qu’une raison pour laquelle je fais et j’aime ce travail. Ceci dit, je reconnais les aspects problématiques de ce type de poste, de cette professionnalisation de certains rôles dans les luttes pour plus de justice sociale. L’un d’eux est la hiérarchie qui s’installe souvent entre intervenant-e-s et participant-e-s (ou militant-e-s). Cette asymétrie s’articule parfois autour de l’argent (salariat pour l’un-e, bénévolat pour l’autre), de la reconnaissance sociale (profession pour l’un-e, demande de services pour l’autre). Parfois aussi, l’asymétrie découle de la définition même de la relation d’aide. D’un côté, l’aidant-e, de l’autre, l’aidé-e.
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un peu de repos

mon petit tout,

Il y a longtemps que je ne t’ai pas écrit à toi directement.

Quand j’écris aux autres, quand je parle de toi à la troisième personne, j’espère que tu sais que tu reste mon interlocuteur privilégié.

J’essaie de réfléchir, de fonctionner. Parfois j’y arrive, même si tu sais, tu as toujours ta place dans mon esprit. Je t’imagine comme un petit animal dans cet espace inventé qu’occupent mes pensées. Mon minuscule monde des idées personnel.

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un pied, puis un autre

j’ai un travail que j’aime
parfois j’oublie pourquoi
j’ai des ami-e-s
des gens fantastiques
mais je manque de courage pour les voir
je manque d’énergie pour sortir
fake it til you make it
c’est trop fatiguant
j’ai un amoureux
tout ce qui me manque
c’est toi
entre nous deux

Le long de la rivière, je cours. J’essaie de ne pas réfléchir, de ne pas laisser mon esprit dériver trop loin. Je pense à mes pas, à la douleur physique, mineure en comparaison avec la douleur immense et constante de l’absence de Paul.
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le renard

Au fil des textes écrits par des parents endeuillés et des rencontres de groupes de soutien, je découvre qu’il n’y a pas que ma grand-mère qui croit que les personnes décédées envoient des signes. Qu’elles nous protègent. Qu’elles nous parlent.

J’entends certains parents parler des signes envoyés par leur enfant décédé et une part de moi aimerait y croire. Une part de moi voudrait voir les petits événements de la vie qui me rappellent Paul comme des signes de lui, littéralement. Évidemment, je croise sur mon chemin plein de signes de la présence de Paul. Il est constamment avec moi, en moi, alors je comprends les moments qui se démarquent du quotidien à la lumière de ma relation avec Paul, en fonction de son absence.
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tisser des liens, créer du sens

il y a cinq mois,
il y a 151 jours

Paul naissait. J’entamais les 4 semaines les plus complètes, les mieux remplies, de ma vie. Je me projetais dans l’avenir, dans ce futur complètement transformé par la présence d’un enfant. Je me lançais à pieds joints dans cette aventure — il faut dire que rendue là, je n’avais plus vraiment le choix.

Le 4 janvier, pendant quelques minutes, j’aurais aimé avoir le choix. Je me sentais complètement dépassée par les événements. Déboussolée par l’expérience ratée de l’accouchement. Confuse par l’absence de mon enfant, qui n’était plus dans mon ventre mais pas encore dans mes bras. L’espace d’un instant, j’ai espéré ne pas regretter cette décision d’avoir mis au monde un enfant qui n’avait rien demandé. Lire la suite

je veux

mon tout petit Paul,

Me vois-tu? Je suis consumée par ce deuil égoïste et solitaire.

Je veux être fatiguée parce que tu n’as pas dormi de la nuit, je veux être épuisée parce que tu es en pleine poussée de croissance. Je n’en peux plus d’entendre les autres parents qui ont le luxe de se plaindre du manque de sommeil.

Je veux en avoir marre de nettoyer des couches lavables. Je veux les voir flotter au vent sur une corde à linge installée exprès pour ça. Je ne supporte pas le vécu pourtant valide des autres parents. Ceux pour qui il n’y a plus rien de romantique à l’idée des couches qui sèchent au soleil. Lire la suite