chercher du sens

Il y a quelques semaines, lors d’une rencontre de groupe de soutien, l’animatrice nous parle de la recherche de sens comme un aspect incontournable du deuil, comme une étape essentielle à un deuil qui permet, éventuellement, de revivre. J’ai des doutes. Je ne vois pas de sens à la mort de Paul. Et je ne suis pas certaine de vouloir en trouver.

Il y a deux jours. J’écoute une émission qui présente des extraits de conférences TED pour m’encourager à terminer une course (un peu) longue. Dans l’un d’eux, il est question de la persévérance de différent-e-s athlètes face aux obstacles rencontrés dans leur vie et dans leur carrière. L’émission présente le parcours d’Amy Purdy, une snowboardeuse qui a remporté deux coupes du monde et participé aux jeux paralympiques de Sotchi après avoir subi une amputation des deux jambes à l’âge de 19 ans à cause d’une méningite fulgurante. Dans sa conférence, elle parle du processus par lequel elle est passée pour donner du sens à cette expérience, elle qui, quelques années auparavant s’était dit que si elle un jour elle perdait l’usage de ses jambes, elle mettrait fin à ses jours.

Un peu plus loin dans ma course, j’entends les mots d’Andrew Salomon, un auteur reconnu pour ses recherches et ses écrits sur l’adversité. Il explique que selon lui, face aux obstacles de la vie, il ne s’agit pas de trouver du sens mais plutôt d’en construire (sa recette : « forge meaning, build identity »). Malgré mes réticences face à cette quête de sens, ses mots me rejoignent, justement parce qu’il nomme clairement que le sens, c’est pas quelque chose que l’on trouve si on cherche assez fort et assez longtemps, comme un trousseau de clés égaré. C’est quelque chose que l’on construit, que l’on façonne, que l’on forge. Et cette analogie métallurgique est d’autant plus parlante qu’elle implique un passage par le feu, par la douleur, par la transformation de la matière même qui fait notre être. Avant une éventuelle reconstruction, il y a un passage obligé par la liquéfaction de soi.

Je veux y croire. Je veux reconstruire un sens à ma vie. Et pourtant, une part de moi croit aussi qu’il est impossible de donner du sens à la mort d’un bébé. Le sens qu’on trouve dans la mort d’un adulte est forcément ancré dans ce qu’on sait de sa vie, dans le sens que cette personne a créé pour elle-même. Mais face à la mort d’un être qui n’a vécu que quelques semaines, ou, comme pour les enfants de plusieurs parents que je côtoie virtuellement, qui n’a pas connu la vie extra-utérine, quel sens peut-il y avoir? Sur quoi s’appuyer pour donner du sens à cette vie amputée non pas sous le genou mais de toute sa substance. La perte est tellement totale. Elle anéantit le sens.

Ma vie à moi a du sens, si ce n’est une direction claire. Je me sens désorientée mais je continue de trouver un intérêt à explorer les chemins qui s’ouvrent à moi. Mais dans cette exploration, ce débroussaillage, je sens le poids de l’absence de Paul, je porte la tristesse de savoir que lui, ne peut plus forger le sens de son existence pour lui-même. Il est tributaire du sens que nous, ses parents, nos ami-e-s, nos familles, voulons bien donner à sa vie. S’il cesse d’exister pour nous, il cesse d’exister tout court. Ça me tue d’y penser. Ça m’écrase au point de ne plus vouloir y chercher de sens.

5 réflexions au sujet de « chercher du sens »

  1. Magnifique…moi non plus je ne suis pas certaine de pouvoir y donner un sens. Reconstruire, je crois que c’est de cette façon que nous pouvons vivre notre deuil. Mes pensées sont avec toi. xxx

  2. Tellement magnifiquement bien expliqué! J’ai l’impression que ça prend probablement beaucoup de temps pour construire du sens… Pas que tu doives absolument donner du sens à ce qui t’es arrivé! Ça, ça n’appartient qu’à toi! Mais si sens il y a à construire, je crois que ça va prendre beaucoup de temps. Merci pour cette réflexion si importante sur le deuil… C’est vrai que ta situation est bien différente du deuil d’une personne qui a eu plusieurs années devant elle avant de s’éteindre… C’est important d’en parler! Un gros merci!

  3. Yes! The imprint that Paul and Zachary and B.W. have left, is so insufficient, so unfulfilling, their deaths so seemingly senseless… and our children are the lens through which we (you and I) see the world, from here to our dying day. Like you, it rips me to shreds to think that Zachary’s and B.W.’s legacy would cease to exist if it weren’t for me, B and C.T., and others who remember them.

    In my quest for meaning, from here, I am committed not to pressure myself to find meaning in Zachary’s suffering or death. Even if I were to be given sufficient/believable insight (can you imagine?!), I don’t think my bereaved mothers heart could accept it. Rather, I need to find purpose in my own life, for myself and for all of my children.

    Love to you and Paul.

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