(re/dé)faire son deuil

Je ne sais plus trop où j’avais entendu ça. « Si on ne fait pas son deuil au moment où on devrait le faire, il reviendra s’imposer plus tard dans notre vie » — ou quelque chose de ce genre là.

Je ne me rappelle pas qu’on m’ait dit cela directement, mais l’idée m’a suivie longtemps. Je me souviens, ado, être restée éveillée le soir, à me demander sincèrement si j’avais ou non « fait mon deuil », si je risquais de le voir surgir sans l’avoir vu venir, s’il risquait de se matérialiser comme un mur dans lequel je foncerais, inévitablement, à pleine vitesse. J’imaginais le deuil comme quelque chose qui m’était extérieur, une entité sur laquelle je n’avais pas d’emprise. Je l’envisageais comme quelque chose de quantifiable; je croyais que si je le faisais « bien », j’en arriverais à bout. Comme un livre dont j’aurais parcouru toutes les pages, je pourrais le ranger, satisfaite d’avoir compris ce qu’il y avait à y comprendre.

Je n’ai jamais fini le livre, il y a bien fallu finir par en faire le constat. Mais je n’ai jamais vraiment foncé dans le mur non plus. Les deuils, mes deuils, vont et viennent, se laissent oublier pour mieux s’imposer plus tard.

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repas imaginaire

Demain, ma mère aurait eu 65 ans. Il me semble que c’est le genre d’anniversaire qu’on doit souligner. À vrai dire, j’aime souligner tous les anniversaires. Quand on peut prendre une journée pour célébrer quelqu’un-e, pourquoi ne pas le faire?

Et 65 ans, ça semble significatif — ça sonne comme un âge de retraite, un âge pour profiter de ses petits-enfants, pour se mettre à genoux sur le plancher et jouer, pour voyager un peu.

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les parents naissent aussi

Les parents naissent avec leurs enfants. Quel titre et quelle image magnifiques…
Je suis heureuse d’avoir eu l’opportunité d’apporter ma toute petite pierre à la construction de ce projet de zine initié et illustré par Chloé Germain-Thérien.

Je n’ai pas encore pu feuilleter ce zine / livre mais j’avais envie de le partager ici puisque ma participation à ce projet fait partie de ces choses que ce blogue a rendu possible — parce que c’est par son biais que Chloé est entrée en contact avec moi, parce que la contribution que j’ai faite vient des archives du marcassin envolé, et parce que c’est dans ces pages que j’ai appris à passer par dessus la peur et la gêne de partager des bouts de ma vie et de mes idées.

J’ai hâte de pouvoir me plonger dans cette lecture.
Si jamais vous avez envie de faire de même, ça se passe ici — ou , pour avoir un aperçu du contenu.

rattrapée

Je me souviens, ado, avoir entendu dire que lorsqu’on ne « fait pas son deuil », le deuil nous rattrape éventuellement. J’avais tellement intégré cette notion que je me souviens m’être sincèrement demandé si j’avais « fait mon deuil » suite au décès de ma mère. Après sa mort, j’avais été absente de l’école pendant une semaine. Puis j’y étais retournée et j’avais recommencé à fonctionner. Je ne m’étais pas effondrée.

Faute d’avoir accès à une pluralité de modèles des formes que peut prendre un deuil, je n’arrivais pas à trancher : est-ce que j’avais « fait mon deuil »? Comme s’il avait dû y avoir un choix de réponse simple.

OUI / NON. Cochez la case qui s’applique.

J’ai douté longtemps, craignant ce spectre, cette image du deuil me rattrapant à un moment où je ne l’attendrais pas.

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deuils/décisions/validations

Ces temps-ci, j’écoute assidument The Longest Shortest Time, un podcast qui traite de questions entourant la parentalité, la grossesse, l’éducation des enfants, et les défis que tout cela présente. Dans le dernier épisode, une collaboratrice à l’émission, Joanna Solotaroff, discute de son indécision face à la possibilité d’avoir des enfants. Elle souligne à l’animatrice que tant ses frères et sœurs que sa mère sont devenus parents assez tard dans leurs vies. Au cours de l’épisode, elle discute enjeux qu’impliquent cette décision avec sa mère, de qui elle semble très proche.

C’est un épisode intéressant, qui aborde un aspect de la parentalité qui est assez peu discuté dans la sphère publique — moins que les quelques témoignages de personnes qui ne veulent pas d’enfant et beaucoup moins que le point de vue des parents (incluant le discours selon lequel une vie sans enfant est pratiquement vaine). N’ayant pas fait l’expérience d’un tel dilemme par rapport à la possibilité de devenir parent, j’ai apprécié les réflexions de Joanna Solotaroff et d’auditrices qui témoignent de leurs difficultés à faire ce choix lourd de conséquences. Mais surtout, j’ai aimé pouvoir jeter un coup d’œil à travers cette fenêtre donnant sur la relation entre une fille et sa mère.

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papa

La semaine a été longue. Enflée d’émotions.
Une semaine en terrain inconnu.
Une semaine à découvrir la vie avec un bébé de plus de 28 jours.
Une semaine marquée aussi par un anniversaire lourd. Hier ça a fait dix ans que mon père est décédé.

La semaine a été longue.

La nuit a été un peu trop courte. Surtout que ce matin, P. ayant un contrat à terminer pour aujourd’hui, je n’ai pas pu bénéficier de notre arrangement de sommeil habituel et me rendormir dans une chambre silencieuse pour une heure ou deux au petit matin, quand Aimé décide que sa journée commence. Mon déficit de sommeil devrait m’inciter à faire la sieste et à repousser encore un peu le moment d’écrire. Mais je commence à deviner que je devrai éventuellement faire des compromis sur le sommeil si je veux continuer à prendre soin de mes émotions qui continuent, elles, à se bousculer, à me bousculer, sans égard au temps que j’ai pour y faire face.

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passé composé

Je me sens parfois complètement calme par rapport à l’absence de Paul. Bien malgré moi, j’arrive à penser à sa mort, ou même à en parler, sans être submergée par les émotions. Parfois, ça m’inquiète un peu. Je me sens déconnectée et je me demande ce que ça veut dire par rapport à qui je suis, et à ma façon de vivre mes émotions. J’ai longtemps eu les mêmes inquiétudes par rapport au deuil de mes parents. Je me souviens de multiples conversations où, après avoir annoncé que mes parents — oui, les deux — étaient décédés, je faisais face à la réaction choquée de mon interlocuteur ou interlocutrice sans pouvoir démontrer de sentiments, sans pouvoir prendre un air adéquatement affligé. Je me suis souvent entendue minimiser la situation de mon mieux. « C’est comme ça, c’est correct ».

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combler le vide

Il y a plusieurs années de cela, j’ai eu envie d’écrire sur mes parents. Sur ma mère, d’abord. J’imaginais un travail documentaire qui me permettrait de mieux la connaître. Puis, quand peu de temps avant le décès de mon grand-père, mes grands-parents paternels ont décidé de rédiger leurs histoires de vie respectives, j’ai eu envie d’écrire pour pour que mon père ait aussi sa place dans ce récit collectif. Après la mort de Paul, j’ai écrit aussi.

Soudain, les mots m’aidaient à sculpter du sens dans la matière brute et inexplicable de ma réalité. Ils me permettaient de me réapproprier un tant soit peu le narratif de ma vie. Lire la suite

sac de noeuds

en attendant Paul
j’ai réfléchi à ce qu’être parent, être mère, voulait dire
j’ai imaginé l’amour, les liens indéfectibles
j’ai rêvé aux connexion que j’établirais avec d’autres parents
j’avais hâte de vivre tout ça
hâte de mettre mes attentes et mes principes à l’épreuve de la réalité

en perdant Paul
j’ai eu peur
peur du gouffre immense de la peine
peur de l’entre-deux aussi
parent-pas-parent
mère-pas-mère
peur d’avoir perdu
en plus de mon enfant
ces liens avec tous les autres
que je souhaitais tellement établir, construire
voir grandir
au rythme de nos enfants
au rythme de Paul Lire la suite