Je ne sais plus trop où j’avais entendu ça. « Si on ne fait pas son deuil au moment où on devrait le faire, il reviendra s’imposer plus tard dans notre vie » — ou quelque chose de ce genre là.
Je ne me rappelle pas qu’on m’ait dit cela directement, mais l’idée m’a suivie longtemps. Je me souviens, ado, être restée éveillée le soir, à me demander sincèrement si j’avais ou non « fait mon deuil », si je risquais de le voir surgir sans l’avoir vu venir, s’il risquait de se matérialiser comme un mur dans lequel je foncerais, inévitablement, à pleine vitesse. J’imaginais le deuil comme quelque chose qui m’était extérieur, une entité sur laquelle je n’avais pas d’emprise. Je l’envisageais comme quelque chose de quantifiable; je croyais que si je le faisais « bien », j’en arriverais à bout. Comme un livre dont j’aurais parcouru toutes les pages, je pourrais le ranger, satisfaite d’avoir compris ce qu’il y avait à y comprendre.
Je n’ai jamais fini le livre, il y a bien fallu finir par en faire le constat. Mais je n’ai jamais vraiment foncé dans le mur non plus. Les deuils, mes deuils, vont et viennent, se laissent oublier pour mieux s’imposer plus tard.