normal

Je me souviens d’un cours de sociologie du genre pendant mon bacc. Pour introduire la section du cours sur la famille, la prof nous avait demandé de nous lever si nous avions une « famille normale ». Sans trop me poser de question, en pensant à la fois à la famille nucléaire dans laquelle j’ai grandi et à ma famille élargie, à nos partys de Noël, à l’amour partagé, aux non-dits parfois lourds — à ce qui me semble faire une famille — je m’étais levée. La prof, qui me connaissait déjà un peu, m’avait regardé d’un drôle d’air et avait fait un commentaire sur ma vision élastique de la notion de  « famille normale ». Et en effet, dans la classe, seul-e-s quelques personnes s’étaient timidement levées.

Elle avait raison. Des parents de deux pays différents, pas mariés, et puis décédés, tous les deux, c’est pas une « famille normale ». Ça dévie de la norme. Fermement. Pourtant, dans ma vie, c’était, et c’est, ce qui est « normal ».

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j’aurais voulu dire

J’évolue dans un petit milieu — dans des petits milieux. Au quotidien, les personnes que je côtoie connaissent l’histoire de Paul. Certaines choisissent d’en parler, plus ou moins souvent, d’autres semblent être plus à l’aise d’éviter le sujet, mais face aux un-e-s comme aux autres, je sais que la mort de Paul, et l’impact qu’elle a eu sur ma vie, existe en filigrane de nos conversations. Ils savent, elles savent. Je n’ai pas besoin de redire constamment.

Je n’ai plus l’habitude de devoir annoncer le décès de Paul, de devoir prendre la décision, en une fraction de seconde, d’alourdir l’atmosphère, d’attirer sur moi cette chape de douleur, de faire naître dans leurs yeux la crainte que je les contamine avec cette mort, avec cette tristesse. Et quand j’aurais besoin de dire, parfois je ne dis rien. Ou je dis trop peu, par peur de l’inconfort.

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tête-à-tête

Les courriels s’accumulent dans ma boîte de réception. Les projets de lettres restent en plan, malgré mon intention ferme de répondre sur papier aux plusieurs messages qui sont atterris dans ma boîte aux lettres au cours des dernières semaines. Les tâches s’accumulent sur les diverses listes que je compile, dans un effort vain de prendre le dessus sur le quotidien. Je me sens à nouveau dépassée.

Je n’ai pas travaillé trois jours complets cette année et déjà la perspective de devoir m’accrocher à ce rythme pendant encore deux mois me semble intenable. Je me sentais mieux pendant les semaines que j’ai passé à l’extérieur du pays. Le fait d’être loin de chez moi me semblait être une excuse adéquate pour repousser les différentes tâches à accomplir. Mais la pensée magique et la procrastination n’ont rien réglé. Mes projets sont resté en plan et recommencent à me narguer. Lire la suite

six mois

Photo 2014-07-29 20 22 12Une demi-année à essayer de reprendre pied.

Nous passons quelques jours à camper, comme nous aurions tant souhaité le faire avec Paul. À la place, je pense à lui, au temps qui nous sépare. Il y a six mois, je sentais le sol se dérober entièrement sous mes pieds. La veille, le 29 janvier, avait commencé normalement, banalement. De la visite, des couches à changer, une bouche à nourrir, encore et encore, des bisous à donner. J’ai allaité Paul une dernière fois, sans me douter de quoi que ce soit, heureuse d’être là avec lui. Je m’apprêtais à envoyer des photos de lui et des lettres décrivant le bonheur que nous vivions de l’avoir enfin dans nos bras. Je regardais une dernière fois les photos avant de cacheter les enveloppes. Les premières photos imprimées de Paul, des images choisies parmi les centaines prises pendant ses trois premières semaines de vie. Les enveloppes seront finalement parties vers leurs destinataires une fois l’inimaginable arrivé, parce que ne pas les envoyer m’aurait semblé une insulte à la mémoire de Paul.

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emotional hangover

je m’échappe, hors du temps, pour quelques jours
à repousser un lendemain de veille
inévitable, invivable.

la réalité me rattrape
je t’ai perdu

pour toujours
mon petit
mon tout
moi

J’ai passé trois journées à prendre une pause de la réalité, à renouer des liens avant que trop de temps ne les délie. La distraction était la bienvenue. Mais je me rends bien compte du motif qui se dessine : chaque escapade, chaque moment de repos et de recul est suivi d’une gueule de bois émotive. Lire la suite

guilt

J’écris en ce texte en anglais parce qu’il présente des réflexions que j’ai eues à la lecture de textes et de blogues en anglais…

 

IMG_6816Since Paul died, I’ve searched the internet looking for online resources and spaces that did not involve angels. In the weeks following his death, I travelled to Columbia, taking refuge at a friend’s house, far away from all the spaces that reminded me of Paul. I had had a strong urge to leave home, to be away from the river banks where I had taken my last walk with Paul, away from the store we were in when his heart stopped, away from the birthing centre, the hospital. Away, away, away. Lire la suite

à tort ou à raison

Pendant que j’étais enceinte, au milieu de lectures sur l’accouchement idéal, le maternage, l’allaitement et les pressions contradictoires subies par les “femmes modernes”, je m’étais promis de tenter autant que possible de ne pas constamment me sentir coupable. J’étais déjà consciente de ma tendance à culpabiliser sur tout à tort ou à raison. Je me répétais que c’était certain que nous ferions des erreurs comme parents, que nous aurions des moments de doutes sur la meilleure approche à adopter avec notre bébé.

Les choses étant ce qu’elles sont, évidemment, j’ai toute la misère du monde à ne pas me laisser emporter par un sentiment de culpabilité étourdissant, à ne pas me laisser bouffer de l’intérieur.
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