Les courriels s’accumulent dans ma boîte de réception. Les projets de lettres restent en plan, malgré mon intention ferme de répondre sur papier aux plusieurs messages qui sont atterris dans ma boîte aux lettres au cours des dernières semaines. Les tâches s’accumulent sur les diverses listes que je compile, dans un effort vain de prendre le dessus sur le quotidien. Je me sens à nouveau dépassée.
Je n’ai pas travaillé trois jours complets cette année et déjà la perspective de devoir m’accrocher à ce rythme pendant encore deux mois me semble intenable. Je me sentais mieux pendant les semaines que j’ai passé à l’extérieur du pays. Le fait d’être loin de chez moi me semblait être une excuse adéquate pour repousser les différentes tâches à accomplir. Mais la pensée magique et la procrastination n’ont rien réglé. Mes projets sont resté en plan et recommencent à me narguer.
Le travail me pèse. Le fait de ne pas pouvoir décider de mon emploi du temps et de mes activités me dérange. En ce moment, et depuis un certain temps, je me sens vraiment mieux quand j’ai la liberté de décider comment occuper mes journées. Par moment, j’arrive à être « productive ». Mais certains jours, je sens que mon besoin de repos est plus grand que la satisfaction potentielle d’accomplir quelque chose de visible, de mesurable. J’ai besoin de prendre soin de moi, encore, même si je voudrais bien ne plus en être là.
Je voudrais être celle que j’ai été. Celle qui peut prendre soin des autres, celle qui prend des responsabilités et ne les laisse pas tomber. Celle qui tient sa parole et récupère en chemin les morceaux que d’autres ont dû abandonner. Je voudrais avoir l’énergie de faire face au quotidien imprévisible et à son lot de défis mineurs.
Mais force est de constater que je n’en suis pas là. Je n’en suis pas encore là. Ou peut-être que celle que je suis aujourd’hui est celle que je serai encore longtemps. Ou pour toujours. Peut-être que les changements qui se sont opérés en moi au cours de la dernière année sont si profonds qu’ils sont permanents. Peut-être que le temps ne suffira jamais à effacer les rides profondes qui se sont creusées en moi, à l’image des lignes qui strient ma peau en souvenir de Paul.
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Les doutes que j’ai sur ma capacité à travailler sont compliqués par des sentiments contradictoires de culpabilité. J’ai peur de laisser tomber les personnes avec qui je travaille. Peur aussi d’arrêter de travailler par caprice et non par nécessité. Peur de faire ce choix — prendre du temps pour moi — quand je sais qu’il serait impossible pour bien des gens de faire de même, faute de capacité financière. J’arrive à voir plein de failles dans mon raisonnement, dans cette culpabilité mal placée. J’arrive à identifier les sources généalogiques de ce malaise, et pourtant, je n’arrive pas à m’en défaire.
Dans cette conversation avec moi-même, j’essaie parfois de me parler comme je parlerais à une amie. J’essaie de me dire que prendre soin de moi est essentiel pour pouvoir prendre soin des autres. Les « autres » en général mais aussi les « autres » qui forment mon entourage immédiat. Mes ami-e-s, ma famille, et bébé-de-mai. Je relis les mots inspirants d’Audre Lorde, je me répète ce que je sais déjà. Et pourtant, cette autre part de moi qui prend part au tête-à-tête — à moins que ce ne soit plutôt une partie de bras-de-fer — ne semble pas réussir à comprendre.
Cette autre partie de moi s’accroche à des idées usées. Elle insiste pour continuer à avancer, quitte à foncer dans le mur, quitte tomber et à se faire mal, simplement parce qu’elle le peut encore. Parce que je le peux encore.
Oufff j’avais ce genre de réflexion (le travail me pèse, pourquoi je n’arrive pas à être productive, je voudrais tellement arrêter de travailler, mais est-ce un caprice?) pendant ma grossesse, mais j’étais loin d’avoir ton vécu! Je ne peux que compatir! 😦
Je ne t’avais pas encore répondu mais ça m’a fait du bien de lire ça. Je continue de me questionner et d’entretenir mon débat interne mais ça m’aide de lire et d’entendre d’autres mamans valider ce trop-plein qui est peut-être typique de la grossesse (et du deuil).
Attend pas de ne plus avoir le choix. Prend soin de toi pendant que tu vas encore assez bien pour le faire. Pas besoin de toucher le fond du baril, pas besoin de franchir tes limites. Tu es une maman enceinte qui passe présentement à travers une partie importante de ton deuil, le souvenir du mois où Paul était vivant il y a exactement un an. Je pense que tu as pas besoin de plus de raison pour choisir de penser à toi. Courage et confiance. Xxxx
Merci Julie. Ces commentaires m’ont aidé dans mes réflexions et moments de doutes de la semaine… xx
Pour la réflexion que tu soulèves, j’ajouterais simplement qu’il me semble important de trouver du sens à tes actions quotidiennes dans ton travail. À défaut, la situation est souffrante et s’ajoute inutilement à ta peine.
Si le deuil de Paul a sans doute transformé la signification et l’importance du travail dans ta vie, il est possible que les raisons qui ont motivé ton retour au travail au printemps dernier se soient également transformées. Travailler pour penser à autre chose, pour s’occuper ou pour « reprendre pied » fait du sens. Travailler pour gagner de l’argent ou parce qu’on n’a pas le choix financièrement fait du sens aussi. Mais travailler pour ne pas délaisser les autres ou pour montrer qu’on est capable de ‘tenir » malgré tout me semblent plus précaire et plus à risque.
Peu importe ta décision, je suis certaine que tu seras comprise et soutenue par tes proches et par ton milieu de travail. Il y a peut-être aussi des options alternatives à envisager autrement que de travailler à temps complet ou de te retirer complètement du travail (comme par exemple travailler à temps partiel, sur les dossiers que tu aurais choisis, pour quelques semaines).
Bises,
Merci Christine d’avoir répondu. Ça a alimenté mes réflexions au cours de la semaine. J’ai pas tout réglé mais j’ai l’impression d’avoir cheminé au moins un peu. Au fond, je sais que le soutien des autres et là, il suffit que je le demande. Et que j’accepte moi-même de passer par dessus mes conflits internes…