deuils/décisions/validations

Ces temps-ci, j’écoute assidument The Longest Shortest Time, un podcast qui traite de questions entourant la parentalité, la grossesse, l’éducation des enfants, et les défis que tout cela présente. Dans le dernier épisode, une collaboratrice à l’émission, Joanna Solotaroff, discute de son indécision face à la possibilité d’avoir des enfants. Elle souligne à l’animatrice que tant ses frères et sœurs que sa mère sont devenus parents assez tard dans leurs vies. Au cours de l’épisode, elle discute enjeux qu’impliquent cette décision avec sa mère, de qui elle semble très proche.

C’est un épisode intéressant, qui aborde un aspect de la parentalité qui est assez peu discuté dans la sphère publique — moins que les quelques témoignages de personnes qui ne veulent pas d’enfant et beaucoup moins que le point de vue des parents (incluant le discours selon lequel une vie sans enfant est pratiquement vaine). N’ayant pas fait l’expérience d’un tel dilemme par rapport à la possibilité de devenir parent, j’ai apprécié les réflexions de Joanna Solotaroff et d’auditrices qui témoignent de leurs difficultés à faire ce choix lourd de conséquences. Mais surtout, j’ai aimé pouvoir jeter un coup d’œil à travers cette fenêtre donnant sur la relation entre une fille et sa mère.

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fragments nocturnes

Moi qui traîne une fatigue lourde depuis des semaines, qui passe des heures chaque jour à penser à dormir, moi qui dors parfois trois heures au milieu de la journée simplement parce que je peux, je ne dors pas. À cette heure nocturne qui n’attend que ça de moi, je ne dors pas. J’essaie de me détendre en écoutant un podcast – Strangers. Évidemment, je tombe sur un épisode qui me renvoie à mes angoisses actuelles.

L’histoire d’un homme qui a perdu sa mère, puis son frère, puis son père en moins d’une dizaine d’années quand il était jeune. Il raconte son parcours, parle de sa tendance à s’accrocher au passé, au « bon vieux temps » où sa famille était encore un tout cohérent. Plus de cinquante ans après ces décès de ses proches, il se demande si on connait vraiment les gens que l’on perd… L’idée qu’on s’en fait n’est-elle pas plutôt un portrait que l’on remodèle encore et encore en fonction de qui l’on est, de qui l’on devient?

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raconter encore et encore

Mardi.

Troisième rendez-vous avec la psychologue. Nous avons prévu une séance plus longue, où je pourrai raconter le nœud de l’histoire. Le moment où tout a basculé, l’ambulance, les mauvaises nouvelles, les soins intensifs, l’espoir, les décisions impossibles, la mort. Ça me prend près d’une heure. Ensuite, le plan est de revenir sur les moments les plus difficiles, les plus complexes. De les sonder, de les démêler, de commencer à détricoter les émotions intenses qui y sont attachées.

J’essaie. Je veux bien faire. Je ne veux pas me dérober devant la tâche à accomplir (ou à entamer, au moins). Elle me dit de laisser flotter mon esprit, de laisser mes pensées se diriger d’elles-mêmes vers un moment, une émotion, une image. Rien ne vient. J’essaie, pourtant, de laisser libre cours à mes souvenirs. Mais mon esprit reste solidement ancré dans le présent. La chaise où elle est assise. La lampe devant moi. Le molleton sur la porte – pour insonoriser la pièce j’imagine. Les détails de ce qui m’entoure m’empêchent de laisser partir mon esprit à la dérive. J’essaie, j’essaie. Sans succès.

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se/souvenir/s

Au club de judo, après le cours. On félicite une nouvelle ceinture noire.
L’ambiance est à l’échange de souvenirs. Mon voisin parle de son passage de ceinture noire.

Je me rend compte que je n’ai pratiquement pas de souvenirs du mien.
Le 4 juin 2005, c’est dûment noté dans mon « passeport ». La semaine d’après, j’aurai 18 ans.
J’essaie de conjurer les souvenirs. Il me revient vaguement l’image d’un diner après le passage de grade. Mais c’est à peu près tout.
Un passage à vide.
Je connais les dates mais je ne me rappelle plus de grand-chose. De la multitude des mailles qui formaient ma vie à ce moment, je n’arrive à en remonter qu’une. Celle qui raconte la fin de la vie de Jacques. Lire la suite

tisser des liens, créer du sens

il y a cinq mois,
il y a 151 jours

Paul naissait. J’entamais les 4 semaines les plus complètes, les mieux remplies, de ma vie. Je me projetais dans l’avenir, dans ce futur complètement transformé par la présence d’un enfant. Je me lançais à pieds joints dans cette aventure — il faut dire que rendue là, je n’avais plus vraiment le choix.

Le 4 janvier, pendant quelques minutes, j’aurais aimé avoir le choix. Je me sentais complètement dépassée par les événements. Déboussolée par l’expérience ratée de l’accouchement. Confuse par l’absence de mon enfant, qui n’était plus dans mon ventre mais pas encore dans mes bras. L’espace d’un instant, j’ai espéré ne pas regretter cette décision d’avoir mis au monde un enfant qui n’avait rien demandé. Lire la suite

histoire de naissance(s)

In psychotherapy, a narrative is a story we tell ourselves. Every time we tell a story, according to Narrative Therapy, our stories then change, because we change the story by just telling it. In doing this, we allow our brain to file away different parts of the story; parts that are hard or parts that are traumatic. Through this process we learn how to come to terms with the loss and the trauma, by slowly accepting the reality of our current situation.

— Lindsey Henke. « Why Your Birth Story Matters ». Still Standing Magazine.

Depuis quelques semaines, j’écris beaucoup sur moi-même. J’écris à Paul, je pense à lui énormément, mais j’ai de la difficulté à écrire sur lui. La relation que nous avons eu a été intense et fusionnelle mais nous n’avons vécu que les premiers balbutiements de la découverte mutuelle. Connait-on vraiment un si petit bébé? Dans les débuts de la relation avec un enfant, j’ai l’impression qu’on se rencontre beaucoup soi-même. À tout le moins, je peux affirmer que je me suis sentie intensément face à moi-même dans l’arrivée au monde de Paul. Lire la suite

histoires

Les narratifs populaires pour raconter l’histoire des bébés, des enfants et des adultes qui font face à des problèmes de santé majeurs sont ceux qui parlent de combat, de courage, de volonté, de triomphe. Le prématuré qui avait tellement le gout de la vie, la cancer survivor, qui court un 5 km dans son ensemble rose au son des slogans vides… Dans ce schème de pensée, l’histoire de ceux et celles qui y laissent leur peau est rendue invisible.

Enfant, je me souviens m’être sentie définie par le fait d’être en bonne santé. N’avoir jamais été hospitalisée, n’avoir jamais pris d’antibiotiques, me semblait être un élément important de qui j’étais, et me paraissait comme une preuve de ma valeur. Peut-être est-ce la conséquence d’être élevée par une médecin? Comment expliquer ce sentiment qui m’habitait alors et qui ne m’a pas complètement quittée? J’avais la même satisfaction à l’idée d’avoir mes quatre grands-parents vivants, comme si tout cela peignait un portrait de famille lisse, symétrique, entier. C’était une source de fierté étrange mais bien présente dans ma tête – et ça l’est encore, au fond, même si la belle image que je me faisais enfant est aujourd’hui craquelée.
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