aujourd’hui

Ces derniers jours, les sentiments qui m’habitent par rapport à la maternité sont compliqués. Je me sens épuisée par la demande constante d’avoir deux enfants à la maison en tout temps en essayant en parallèle de continuer à travailler.

J’ai de la chance: je faisais déjà la majeure partie de mon travail à distance. Les chercheuses qui m’embauchent sont compréhensives et ne me mettent pas de pression même quand je n’arrive pas à accomplir les tâches prévues. J’ai de la chance: nous avons une maison spacieuse et une cour où les enfants peuvent jouer. Je me répète constamment que j’ai de la chance et pourtant, ça ne m’aide pas à me sentir mieux, à me sentir à ma place. Au contraire, je juge mes émotions négatives en me disant qu’objectivement, je ne devrais pas trouver ça aussi difficile.

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vivre la mort en confinement

En ces jours de pandémie et de confinement, les conversations téléphoniques et les rencontres impromptues au coin de la rue impliquent systématiquement des « comment ça va? » plein de sous-entendus. Nous vivons des moments étonnants, nous parcourons collectivement des territoires inexplorés. Nous nous reconnaissons dans les difficultés quotidiennes partagées : l’isolement et la solitude, l’incrédulité, l’envahissement de notre espace physique et mental, la difficulté à se concentrer alors qu’on nous demande de télé-travailler comme si nous n’avions pas d’enfant et d’animer notre progéniture comme si nous n’avions pas quatre réunions sur Zoom à l’agenda et un rapport à rédiger. Et les repas, et la vaisselle qui n’en finit pas. Petits problèmes du confinement de classe moyenne.

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seul.e.s

« Prenez le petit chemin derrière la maison. Ensuite vous marchez sur l’aboiteau. Peut-être 500 mètres. Vous pouvez pas manquer le parc. »

L’idée me semble bonne. Ça va faire du bien à Aimé de se dégourdir les jambes et de jouer librement. Surtout qu’on a passé la matinée à s’occuper de lui sans trop y mettre de cœur, occupé.e.s à essayer de préparer les bagages pour une dizaine de jours de camping.

« Vous allez voir, c’est comme une épave de bateau. Elle s’appelle Et vogue Aimée. » L’idée semble encore meilleure alors. Incontournable.

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renversement

Aujourd’hui, je me suis retrouvée, je pense, dans une situation étrange. Une sorte de renversement de rôles auquel je ne m’attendais pas. Je dis « je pense » parce que je ne suis même tout à fait certaine d’avoir bien saisi la situation en question. Mais je crois que sans le vouloir, j’ai fait subir à une maman ce que je voulais éviter à tout prix il y a quelques mois.

Après être allée aller manger avec une collègue, de passage à mon travail pour répondre à quelques questions de la personne qui me remplace, je me suis retrouvée au milieu d’une de ces conversations typiques de fin de grossesse. Il faut dire que je me sens à l’aise d’aborder ces questions avec mes collègues, qui ont été extrêmement présent-e-s et à l’écoute suite à la mort de Paul, à mon retour au travail l’an dernier, puis à l’annonce de cette nouvelle grossesse. J’ai répondu à leurs questions sur la position du bébé, j’ai partagé mes impressions par rapport à mon congé, et à l’attente de l’arrivée de bébé-de-mai.

La conversation était légère. Je ne sentais pas le besoin d’exprimer mes inquiétudes face au futur, justement parce que je n’avais pas à les cacher. Savoir que j’aurais pu en parler avec ces personnes, savoir qu’elles m’auraient écoutée me suffisait. Alors je m’en suis tenue à des aspects plus banals de mon quotidien. De l’extérieur, j’imagine, j’avais l’air d’aborder ces derniers jours de grossesse avec la même confiance qui m’habitait juste avant la naissance de Paul. J’avais l’air de vivre dans l’ignorance de tout ce qui peut mal tourner, dans la naïveté qui précède le drame. J’avais l’air d’avoir rejoint le monde des vivant-e-s, du normal, du simple.

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solitude/communauté

Il y a quatre semaines, c’était l’anniversaire de Paul. L’an dernier, avant qu’il naisse et pendant ses premiers jours, j’ai entrevu comment nous pourrions célébrer chaque année cette journée. J’imaginais des fêtes d’enfants hivernales, des jeux dans la neige, des chocolats chauds et une galette des rois réinventée pour lui.

Cette année, nous avons mangé de la galette des rois en son absence, sans mode d’emploi pour cette journée qui aurait dû en être une de célébrations. Demain, une autre journée journée pleine de sens et de tristesse marquera la fin d’une année entière sans Paul. Que doit-on faire par une pareille journée? Comment rendre honneur à sa vie, à son passage dans les nôtres sans sombrer dans le désespoir? Comment célébrer la trop courte présence de Paul dans le monde alors que je prends encore tout juste la mesure de son absence dans ma vie.

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un peu de temps

IMG_7363_Fotorje suis tombée en congé
comme tombée de ma chaise

sans travail pour rythmer mes journées
sans contrainte. sans but
sans enfant, plus que jamais
sans Paul

j’ai passé deux jours avec son cousin
bébé chronophage, comme les autres

j’ai occupé mon temps à
regarder son sourire
tenter d’imaginer celui de Paul
le voir marcher à quatre pattes
me demander si Paul pourrait déjà le suivre
me sauver un peu aussi

Paul ne régit plus mon temps

bien malgré moi
je peux choisir
quand m’en occuper
quand materner son souvenir
quand faire autre chose
pour un temps

Comment faire face à l’indifférence? Au fait que personne ne semble reconnaître l’existence de mon enfant?

Si Paul avait été là, cette fin de semaine passée en compagnie de dizaines de gens que je ne connais qu’un petit peu aurait été ponctuée par les questions, les sourires, les photos… Je le sais parce qu’avant de partir en congé de maternité, j’avais reçu de ces mêmes personnes des conseils, des encouragements, des souhaits de bonheur et des témoignages de leur expérience de parents. Lire la suite

je veux

mon tout petit Paul,

Me vois-tu? Je suis consumée par ce deuil égoïste et solitaire.

Je veux être fatiguée parce que tu n’as pas dormi de la nuit, je veux être épuisée parce que tu es en pleine poussée de croissance. Je n’en peux plus d’entendre les autres parents qui ont le luxe de se plaindre du manque de sommeil.

Je veux en avoir marre de nettoyer des couches lavables. Je veux les voir flotter au vent sur une corde à linge installée exprès pour ça. Je ne supporte pas le vécu pourtant valide des autres parents. Ceux pour qui il n’y a plus rien de romantique à l’idée des couches qui sèchent au soleil. Lire la suite