Depuis quelques jours, j’ai l’impression que la fête des mères est partout, dans le journal, dans les conversations, dans les vitrines, sur facebook. J’imagine que ce n’est pas pire que d’habitude. Mais je le sens tellement plus passer.
Comme l’explique Eve Kosofsky Sedgwick dans cet extrait de What’s queer? sur Noël, si le message est consensuel, les messagers sont multiformes:
They all–religion, state, capital, ideology, domesticity, the discourses of power and legitimacy–line up with each other so neatly once a year, and the monolith so created is a thing one can come to view with unhappy eyes.
Cet effet monolithique est beaucoup plus évident autour du temps des fêtes — le premier Noël sans Paul sera certainement un autre moment compliqué. Mais l’impression est là quand même. Les cloches qui sonnent la fête des mères, une cacophonie dont les points d’origine se multiplient avec la date du 11 mai qui se rapproche.
Le beau temps qui se pointe enfin contribue aussi à mettre en évidence l’absence de Paul. La cour, imaginée pleine d’enfants dès notre première visite, qu’on nettoie à contrecœur. Les cris des enfants sur leurs vélos, les poussettes qui poussent comme des champignons. Le premier souper à l’extérieur, les bébés qui sortent enfin de leur coquille. La solitude au milieu du monde.
La solitude d’une expérience pourtant universelle et apparemment à l’origine de cette fête des mères maintenant édulcorée et hallmarquée. Mon cœur se brise en pensant à l’instigatrice initiale de cette journée alors consacrée à l’amélioration de l’hygiène et des soins, dans un contexte de mortalité infantile effrayant. Dans les Appalaches de l’époque de la guerre de Sécession, Ann Jarvis perd sept enfants sur les onze qu’elle a mis au monde.
Mais aujourd’hui, et surtout, ici, perdre un bébé ne fait pas partie du parcours normal d’un parent. Je m’attendais à tout pendant la grossesse, j’étais consciente des risques de fausse-couche. Même chose pendant l’accouchement, surtout quand le processus a commencé à se compliquer — j’avais en tête que les choses pouvaient mal tourner. Mais quand P. a passé le pas de la porte avec Paul pour le déposer dans mes bras, je me suis sentie tellement rassurée, confiante. J’ai enlevé le petit pyjama de flanelle jaune hôpital pour prendre Paul contre ma peau. Il a commencé à téter comme s’il avait fait ça mille fois auparavant.
Tous les éléments qui devaient dorénavant constituer nos vies se sont imbriqués les uns avec les autres, comme si ça allait de soi. J’avais confiance. Confiance en la vie, bien accrochée, prenant forme sous mes yeux. Les mèches de cheveux noirs, les yeux sombres et profonds quand ses paupières s’entrouvraient. La peau si douce, les petites égratignures, les ongles minuscules. Les pieds, longs et souples, le gauche un petit peu de travers, son petit pied croche. Ses mains, parfaites. Son ventre, tendu d’efforts quand il pleurait. Le cordon ombilical, relique de notre autre vie ensemble, translucide. Mon bébé. Mon bonheur.
Cette découverte, ces premiers moments comme parents, sont vécus dans une sorte de solitude heureuse. On se laisse croire que jamais qui que ce soit n’a pu vivre cet émerveillement, on veut y croire. Voilà, c’est nous. Les parents les plus comblés du monde, ceux du plus beau bébé de l’histoire de l’humanité, du plus merveilleux. Même si à quelques mètres de nous, dans la chambre à côté, d’autres nouveaux parents découvraient en parallèle leur petit, notre expérience nous semblait unique. Chaque naissance, porteuse à la fois d’unicité et d’universalité.
C’est un peu pareil avec le deuil, mais sans la légèreté et la fierté. Je me sens à la fois immensément connectée aux autres parents en deuil, aux parents dont les enfants sont mal en point. Mais en même temps, malgré ce lien intangible qui me rapproche des autres, j’ai l’impression de vivre une douleur foncièrement solitaire, unique.
A beautiful post. Birth and grief – universal and yet so incredibly unique. Yes! I have been going to a support group for bereaved parents and there is that « knowing » in the room, something akin to brother or sisterhood, united in the deaths of our children. And yet, no matter how many times I tell pieces of Zachary’s story / my grief, or I hear others describe the life and death of their child, no one can truly grasp it except the one who lives it. It is such a solitary, lonely, nuanced pain. I appreciate the 1/100,000 of a glimpse you give me here, of your precious Paul and your grief.
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