les jugements

mercredi.
Une soirée comme tant d’autres. Je prépare à manger en écoutant la radio. La nouvelle m’interrompt dans un mouvement. Un bébé a été retrouvé sans vie dans une voiture, stationnée devant un centre de la petite enfance. Une enquête est ouverte. La situation est confuse, le journaliste a peu de détails, comme c’est souvent le cas quand les médias se pressent à relayer une information de dernière minute.

Il y a plein de points d’ombre, de suppositions. Mais une chose est claire: un bébé de moins d’un an est décédé. Peu importe les circonstances exactes, peu importe à qui la faute, ce petit bout d’information s’agrippe à ma gorge, avec tout ce qu’il a d’irréversible.

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je ne dis rien

Quand j’étais enceinte de Paul, j’ai lu beaucoup. Plusieurs livres de préparation à l’accouchement, quelques uns sur la vie avec un bébé et l’éducation des enfants. Et des sites. Et des apps. Et puis j’ai joint quelques groupes facebook qui me semblaient en phase avec les valeurs que je voulais avoir comme parent.

Je me reconnais(sais) dans certaines pratiques sans avoir à y réfléchir très longtemps. Rapidement, j’ai su que je voulais allaiter, et j’avais hâte d’utiliser les deux porte-bébés différents donnés par ma cousine.

Dès les premiers jours de Paul, nous l’avons porté dans une écharpe extensible. C’était simple, et doux, et chaleureux. Il était collé contre nous, bien au chaud malgré le froid perçant de janvier. Nous étions bien.

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bois de tristesse et de beauté

J’avais tout juste 18 ans quand j’ai dû aller dans une coopérative funéraire pour choisir un cercueil pour mon père qui venait de mourir. L’expérience a été déprimante, à cause du contexte évidemment, mais aussi parce que dans ces instants, la mort semblait réduite à une transaction, et parce que toutes ces boîtes chargées de fioritures me semblaient tristes et laides. Elles ne ressemblaient pas à mon père, à l’idée que je me faisais de lui. À l’époque, je n’ai pas su dire que ça me dérangeait, je n’ai pas pu faire autrement.

Je ne sais pas si j’avais parlé de cette expérience à mon amie, ou si ce sont les années d’amitié partagée qui lui ont permis de savoir que je ne voudrais pas que Paul repose dans une urne industrielle et impersonnelle. Avant que j’aie eu le temps de me sentir frustrée par les options proposées par le salon funéraire, elle avait dégoté et noté pour moi des références d’urnes artisanales. (Dans l’état où j’étais, je ne crois pas que j’aurais pensé à chercher). Lire la suite

en attendant

J’ai de la difficulté à écrire. Mon esprit est trop occupé par l’impatience et une part de moi a peur de laisser une trace écrite de mon état d’esprit actuel. S’il arrivait quelque chose à bébé-de-mai, je m’en voudrais de ne pas avoir profité de chaque moment de cette grossesse à son plein potentiel.

Mais dans la réalité, mes mains et mes pieds enflés, l’inconfort prononcé de presque chaque mouvement, et les petites frustrations quotidienne (aujourd’hui, par exemple: apprendre que mon rendez-vous de suivi était reporté à demain) m’empêchent de me connecter au bonheur de porter en moi la promesse d’une vie qui se déploiera sous nos yeux. Mon sentiment de ras-le-col total a pris le dessus sur ces considérations plus nobles…

ShareAlors à la place, je lis, j’écoute, je regarde.
Je colorie même (!) Lire la suite

ça

Décider de devenir parent, de mettre un enfant au monde, implique forcément de faire un saut dans le vide, de croire un instant que l’on peut défier la mort. Il y a des années que j’avais hâte d’en arriver là dans ma vie. Je savais qu’il était souhaitable d’attendre qu’un minimum de conditions soient réunies pour accueillir un enfant dans ma vie mais je n’ai jamais dressé de longue liste de choses à accomplir avant la maternité.

Je crois qu’au fond de moi, je sais depuis longtemps que je veux avoir des enfants rapidement pour pouvoir en profiter le plus longtemps possible, une logique pas infaillible que je tiens de mon expérience d’avoir des parents plus âgés qui sont tous les deux décédés beaucoup trop tôt. Je savais que d’avoir des enfants 10 ans plus tôt que mes parents ne garantirait en rien que je passerais 10 ans de plus à en profiter, que j’offrirais 10 ans de plus sans deuil important à mes enfants. Je savais ça mais ça n’a pas empêché ce calcul étrange de jouer un rôle dans ma décision de devenir maman au moment où je l’ai prise.

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raconter encore et encore

Mardi.

Troisième rendez-vous avec la psychologue. Nous avons prévu une séance plus longue, où je pourrai raconter le nœud de l’histoire. Le moment où tout a basculé, l’ambulance, les mauvaises nouvelles, les soins intensifs, l’espoir, les décisions impossibles, la mort. Ça me prend près d’une heure. Ensuite, le plan est de revenir sur les moments les plus difficiles, les plus complexes. De les sonder, de les démêler, de commencer à détricoter les émotions intenses qui y sont attachées.

J’essaie. Je veux bien faire. Je ne veux pas me dérober devant la tâche à accomplir (ou à entamer, au moins). Elle me dit de laisser flotter mon esprit, de laisser mes pensées se diriger d’elles-mêmes vers un moment, une émotion, une image. Rien ne vient. J’essaie, pourtant, de laisser libre cours à mes souvenirs. Mais mon esprit reste solidement ancré dans le présent. La chaise où elle est assise. La lampe devant moi. Le molleton sur la porte – pour insonoriser la pièce j’imagine. Les détails de ce qui m’entoure m’empêchent de laisser partir mon esprit à la dérive. J’essaie, j’essaie. Sans succès.

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larmes

Hier soir en rentrant d’une réunion, j’allume la radio par automatisme. Une chanson commence, Des larmes, par Émilie Simon, une chanteuse que je ne connais pas. Le rythme, la musique, ne me rejoignent pas particulièrement. Soudain, deux phrases me happent.

Les larmes du nouveau né
Les larmes du bientôt mort

Je les tourne et les retourne dans ma tête.
nouveau né / bientôt mort
nouveau né bientôt mort

Je revois les dernières larmes de Paul, du côté de la vie, de la naissance. Je les entends presque. Je revois son visage congestionné par les pleurs. Je n’ai pas su y lire la détresse. Était-elle là? Est-ce que ses larmes à ce moment étaient différentes des larmes des jours d’avant? Je n’y ai pas lu la détresse. Je n’y ai pas lu l’avenir. Je n’ai pas déchiffré dans les cris de signe que c’était les derniers que j’entendrais. Lire la suite

au bas de la page

Vois-tu une différence entre les polars de Mankell et les livres de l’auteure que tu lis en ce moment?

L’auteure que je lis en ce moment, c’est Camilla Läckberg. Quelqu’un m’a donné deux de ses livres qu’il avait récupérés. Il sait que j’aime les romans policiers scandinaves. Il a déposé ces deux-là sur mon bureau en me disant que si je les avais déjà lus, je n’aurais qu’à les donner. Je ne les avais pas lus. En fait, je n’avais jamais lu de livres de Camilla Läckberg.

J’ai dévoré son premier roman, La Princesse des glaces, en une journée et demie. Hier, je n’ai pas pu m’empêcher d’entamer le deuxième, Le Prédicateur, même en sachant que la semaine commençait, et que ça risquait de m’irriter de ne pas pouvoir lire autant que je le souhaiterais. Je me rappelle m’être empêchée de lire le deuxième tome des Millenium, alors que je terminais une session d’université. Je m’étais retenue pendant deux ou trois semaines pour pouvoir réellement me plonger dans l’histoire une fois mes examens terminés et mes travaux remis. Lire la suite