mercredi.
Une soirée comme tant d’autres. Je prépare à manger en écoutant la radio. La nouvelle m’interrompt dans un mouvement. Un bébé a été retrouvé sans vie dans une voiture, stationnée devant un centre de la petite enfance. Une enquête est ouverte. La situation est confuse, le journaliste a peu de détails, comme c’est souvent le cas quand les médias se pressent à relayer une information de dernière minute.
Il y a plein de points d’ombre, de suppositions. Mais une chose est claire: un bébé de moins d’un an est décédé. Peu importe les circonstances exactes, peu importe à qui la faute, ce petit bout d’information s’agrippe à ma gorge, avec tout ce qu’il a d’irréversible.
jeudi. jour.
Encore la radio. Je suis au volant, cette fois. Le bébé a été oublié dans la voiture par son père. Une autopsie sera effectuée, précise le journaliste.
J’absorbe cette bribe d’information.
Je pense à Paul.
Je pense à ce tout petit bébé, souffrant, seul, impuissant.
J’entrevois la douleur, la culpabilité, le brouillard dans lequel doivent être plongés les parents.
jeudi. soir / nuit.
Je ne parviens pas à m’endormir.
Je pense à Paul.
Je pense à Aimé, à ma peur qu’il lui arrive quelque chose. Je pense à tous ces moments où je contiens la panique qui m’envahis pour vérifier qu’il respire encore. Je pense à toutes ces fois où le silence momentané dans la voiture me pousse à regarder dans le rétroviseur pour m’assurer qu’Aimé va bien.
Pour m’aider à trouver le sommeil, j’essaie de me convaincre que cette inquiétude qui me colle au cœur est un atout, qu’elle m’empêchera toujours d’oublier Aimé. Mais je sais trop que c’est une illusion. Je repense souvent à cet article du Washington Post, que j’avais lu en 2014, qui explore comment des parents aimants, responsables, peuvent en arriver à faire un tel oubli.
Ce serait comme me dire que la tragédie ne peut plus nous frapper après ce qui est arrivé à Paul, ce qui nous est arrivé. Ça aussi, je sais que c’est une illusion.
vendredi.
Je n’ai pas été lire sur cette nouvelle, même si je n’arrête pas d’y penser. D’abord, je ne me l’explique pas. Puis je mets le doigt sur ce qui m’en a empêchée. J’ai peur de lire les commentaires. Peur du jugement qui s’abattra forcément sur ce père. Peur de tous ces parents qui diront que ça n’aurait pas pu leur arriver, à eux. Peur de leurs certitudes et de leur intransigeance.
J’ai peur de ce que ça veut dire pour moi. Peur d’imaginer les commentaires qu’on aurait fait sur moi, dans le confort de l’anonymat et de la distance, si la mort de Paul avait été médiatisée.
Finalement, je lis un texte — un parmi d’autres, j’imagine, j’espère — où l’auteur rappelle que ce genre d’oubli tragique peut arriver à n’importe qui, où il fait remarquer que tout ce qui différencie l’erreur de ce père des erreurs que plein de parents font chaque jour, c’est la conséquence irréversible qu’elle a eu sur son bébé. Sous ce texte, la plupart des gens qui commentent font preuve de compréhension, de douceur, mais ce n’est pas unanime. Même là, les jugements fusent.
Je ne veux pas lire les commentaires de tous ces parents qui se croient à l’abri des oublis et des erreurs. J’ai peur que ça me fasse trop mal. J’ai peur de me perdre à nouveau dans la culpabilité de mon erreur à moi.
Très beau texte…. C’est vrai que le jugement fait très mal… Il est tellement inutile…..ce papa souffre déjà tellement
pour les autres : un évènement à un moment T vite jugé et vite oublié, pour les parents : une vie à apprendre à vivre avec, à respirer à nouveau, se lever tous les jours, se coucher, ne pas couler… A quel moment une partie des êtres humains a oublié d’être humain?
❤
Just sending love…