normal

Je me souviens d’un cours de sociologie du genre pendant mon bacc. Pour introduire la section du cours sur la famille, la prof nous avait demandé de nous lever si nous avions une « famille normale ». Sans trop me poser de question, en pensant à la fois à la famille nucléaire dans laquelle j’ai grandi et à ma famille élargie, à nos partys de Noël, à l’amour partagé, aux non-dits parfois lourds — à ce qui me semble faire une famille — je m’étais levée. La prof, qui me connaissait déjà un peu, m’avait regardé d’un drôle d’air et avait fait un commentaire sur ma vision élastique de la notion de  « famille normale ». Et en effet, dans la classe, seul-e-s quelques personnes s’étaient timidement levées.

Elle avait raison. Des parents de deux pays différents, pas mariés, et puis décédés, tous les deux, c’est pas une « famille normale ». Ça dévie de la norme. Fermement. Pourtant, dans ma vie, c’était, et c’est, ce qui est « normal ».

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Mardi, j’avais un cours. Sociologie toujours. Mais cette fois-ci c’est un séminaire visant à nous accompagner pour démarrer l’écriture de nos mémoires de maîtrise. On parle de méthodes de recherche, d’éthique, d’aspects techniques du déroulement d’une enquête. Rien d’émotif a priori.

Je pose une question sur l’utilisation de documents écrits par des gens n’ayant pas donné leur consentement pour participer à une recherche. La prof me donne des exemples de documents qui seraient probablement éthiques et pratiques. Puis elle fait référence à une étude ayant utilisé des rapports de coroner comme source primaire. Elle parle du fait que c’est une source beaucoup plus délicate à utiliser, notamment à cause de la confidentialité de ces rapports.

Je me retiens de lui répondre que non, c’est rapports ne sont pas confidentiels.
Je me retiens de lui dire que quand le bureau du coroner dépose un rapport, les médias y ont accès.

Ce n’est pas la place, ni le moment, pour parler du rapport du coroner plié sur mon bureau. Ni de la lettre qui l’accompagne — imprimée en Comic Sans (!) — qui prévient que les médias y ont accès et qu’ils tenteront peut-être de nous contacter.

Ce n’est pas la place, ni le moment, pour dire que P. a décidé de parler à un journaliste qui a en effet décidé de couvrir les résultats de ce rapport qui ne nous apprend rien de neuf.

Ce n’est pas la place, ni le moment, alors je ne dis rien. Je ne dis pas que ça me stresse, et que j’ai peur de la réaction que ce reportage pourrait provoquer. Je ne dis pas que même si c’est écrit en toutes lettres dans le rapport — « Je n’ai aucun élément me permettant de conclure que la mère a mal utilisé le porte-bébé. » — je continue de douter et de me remettre en question.

Il ne faut pas dire des choses comme ça dans un séminaire de socio. Et quand la prof utilise un autre exemple banal cinq minutes plus tard — « Demandez à vos parents pourquoi ils font l’épicerie le vendredi plutôt que le dimanche… » — il ne faut pas répondre non plus.

Alors je n’ai rien dit, laissant mon esprit dériver quelques moments, confronté au fait que ma vie ne correspond clairement pas à ce qui serait « normal ». Déjà, j’ai vu la surprise sur les visages de mes collègues en apprenant que j’avais un bébé. Je n’ai pas trouvé la façon de dire que j’en ai deux.

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Paul_bus

Le reportage est sorti hier. Il a circulé pas mal déjà. On y voit des photos de Paul. On y voit P., tellement plein d’amour pour ses deux fils. On y voit Aimé, qui semble déjà si grand, et si mignon.

Je ne sais pas encore ce que je pense de l’ensemble, de la juxtaposition de notre histoire avec des statistiques sur les accidents survenus pendant l’utilisation de porte-bébés. Cette fois-ci, si je ne dis rien, c’est que je ne sais pas quoi en dire.

4 réflexions au sujet de « normal »

  1. Tant que tu restes convaincue que tu peux tout nous dire. Que tu restes fière de tes parents fantastiques qui de leurs présences et de leurs absences m’influence encore dans mes choix et ma vision du monde. Tu es toi même le parent merveilleux de deux enfants adorés et que tu feras l’épicerie quand ça adonne.

  2. This comment is unrelated to the blog content. But I was noticing the photo you included. I assume you wrote the heart shape and Paul’s name in the snow? I was if the marks underneath the heart are yours too? When I look at the marks under the heart combined with the heart, as a whole, it almost looks like a little figure of some sort.

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