Je me sens parfois complètement calme par rapport à l’absence de Paul. Bien malgré moi, j’arrive à penser à sa mort, ou même à en parler, sans être submergée par les émotions. Parfois, ça m’inquiète un peu. Je me sens déconnectée et je me demande ce que ça veut dire par rapport à qui je suis, et à ma façon de vivre mes émotions. J’ai longtemps eu les mêmes inquiétudes par rapport au deuil de mes parents. Je me souviens de multiples conversations où, après avoir annoncé que mes parents — oui, les deux — étaient décédés, je faisais face à la réaction choquée de mon interlocuteur ou interlocutrice sans pouvoir démontrer de sentiments, sans pouvoir prendre un air adéquatement affligé. Je me suis souvent entendue minimiser la situation de mon mieux. « C’est comme ça, c’est correct ».
Cinq ans se sont écoulés entre la mort de ma mère et celle de mon père. J’ai réagi à ces deux événements en faisant peu de vagues. Après le décès de ma mère, tout juste une ado, j’ai fait tout en mon pouvoir pour me fondre dans la masse, pour avoir l’air aussi normal que possible. J’ai raté cinq jours d’école, puis à mon retour j’ai fait comme si de rien était; je n’ai parlé à personne, ou presque, de ce qui était arrivé. Après le décès de mon père, j’ai été un tout petit peu plus ouverte mais à peine. Et là encore, j’ai repris rapidement mon rythme normal : emploi d’été, sport, sorties, puis école et implication militante. Je n’ai pas pris de temps pour me poser trop de questions. J’ai occupé mon esprit autant que possible pour ne pas avoir à faire face à trop d’émotions.
Par moments, certains aspects de la vie me forçaient à faire face à l’absence de mes parents. Il n’y avait personne pour finir de m’apprendre à conduire, personne vers qui me tourner pour répondre à certaines de mes questions, banales ou existentielles. Personne pour se réjouir de devenir grand-mère ou grand-père pour la première fois. Mais au fil des ans, j’ai fait du mieux que j’ai pu pour que le deuil ne prenne pas trop de place dans ma vie, quitte à trainer toujours avec moi un malaise léger mais lancinant.
J’avais compris, en théorie, qu’un deuil se doit d’être vécu, sans quoi on court le risque qu’il nous explose dans la face quand on s’y attend le moins. Avec les années qui passaient, je me suis habituée à l’idée. Parfois, je me rassurais en me disant que même si j’avais fait des deuils discrets, ils étaient faits, et derrière moi. À d’autres moments, je me disais que si les émotions que j’avais refusé de vivre à d’autres moments de ma vie me rattrapaient, il serait toujours temps de les vivre plus tard.
Je ne crois plus à l’idée de « faire son deuil » et de passer à autre chose. Je ne sais pas si j’aurais dû vivre ma peine plus ouvertement suite aux décès de mes parents. Je ne sais pas si j’aurais pu faire autrement, compte tenu du contexte, de mon âge, de ma personnalité. J’ai fait ce que je pouvais, ce que je savais. Et la peine d’alors n’a pas disparu. Je ne crois pas qu’elle m’a rattrapée. Probablement qu’elle m’a suivi de près toutes ces années. Comme une ombre, subtile mais présente dans chacun de mes mouvements.
Je ne vois pas la mort de Paul comme l’événement qui a fait fendre la coquille que j’avais construite autour de mes émotions, mais le deuil de Paul m’a fait prendre conscience de la vulnérabilité qui m’habite encore, qui m’habitera probablement toujours. En faisant le deuil de Paul, je poursuis le travail de deuil que j’ai entamé tant bien que mal suite à la mort de ma mère. Je continue de faire le deuil de la famille complète que j’ai eue, le deuil de la normalité.
Aujourd’hui, alors que je ne m’y attendais pas, je me suis sentie submergée par la peine et la frustration. En allant à un rendez-vous de suivi pour obtenir des résultats d’analyses génétiques faits pour tenter de comprendre la mort encore inexpliquée de Paul, je me suis sentie engloutie par ces sentiments — la douleur d’être sans notre bébé dans une salle d’attente remplie d’enfants, la frustration face à la secrétaire, interface un système de santé impersonnel, qui ne prend pas la peine de noter sur le dossier que Paul est décédé dans l’enceinte même de cet hôpital où nous sommes forcés de retourner. Soudain, je sens les mots bloqués dans ma gorge se métamorphoser en larmes incontrôlables. Au rendez-vous, la généticienne ne nous apprend rien de neuf — deux résultats sont normaux, l’autre test important n’a pas été fait suite à une erreur cléricale inexpliquée. Nous devrons attendre encore pour avoir des résultats. La médecin elle-même nous dit qu’elle aurait pu nous dire tout ça au téléphone.
Rien de neuf. Et pourtant, je me sens trop émotive. Le mélange de colère et de tristesse, le sentiment d’être seule et incomprise (même écrire ces mots me semble tellement mélodramatique) me collent à la peau. Alors que trop souvent je m’inquiète d’être déconnectée de ma peine, aujourd’hui je sens que trop de tristesses entremêlées me pèsent et m’empêchent de voir clair.
mon être
construit / déconstruit / reconstruit
par les deuils
par le passé
composé / décomposé / recomposé
qui me trappe / m’attrape / me rattrape
Je me retrouve dans ce que tu écris par rapport aux hauts et aux bas de tes émotions et de ta peine. J’ai le même questionnement quand je me trouves trop « détaché » ou lorsque je suis capable d’en parler plus froidement puis d’autre jours c’est tout le contraire.
Il y a plein de mystère dans le deuil… j’imagine que c’est correct de ne pas tous les résoudre.
Ugh. The appointment sounds so frustrating. So unbelievable that you worked yourself up to it and then, so many triggers, so ridiculous to know the new results are not in and that they could have been delivered by phone if you desired. I am sorry it was such a disappointment and that it brought your tender emotions to the surface so painfully. B and I had a similar experience when my MFM specialist was supposed to meet with us, maybe 5 months after Zachary died. We were to talk about the cause of my prematurely ruptured membranes. She knew Zachary. She came to his funeral and cried with us. And then, somehow, even after I confirmed we needed to specifically see her, she was in another office when we had our appointment – a clerical error, they say. We could meet with another of the MFMs. No thank you. They have no idea. B had taken off of work, we had a sitter for C.T., I had pages of research and questions, it was in the hospital where Zachary had lived and died, we sat in that office of pregnant women all waiting to see their babies on ultrasound. To not have her show was infuriating. I felt like a target of the universe.
It can be so confusing to adapt to the dramatically fluctuating emotions of grief. I think sometimes the periods of numbness are for our own good. Our bodies may be even smarter than we are…, letting us know we need a break by not allowing the thoughts to permeate to deep emotion. And, I know that concept teeters on avoidance, though I think this is not always the case.
You have every right to feel what you feel, even if it drums feelings about your parents’ premature death. I wish your parents were here to comfort you in Paul’s absence. It is not fair and I am so very sorry.
Feeling like a target. Exactly. Even though i was trying really hard to remember the receptionist did not know what we had to deal with, and that it must be hard for her to always be thoughtful and understanding through her work day, i DID feel like a target, and like no one could understand how hard it was. (although i have to say, after i burst in tears because i had to go get a hospital card made, said receptionist apologized). I am sorry you too had to deal with this kind of frustration and especially since it was much closer to Zachary’s death.