j’ai un travail que j’aime
parfois j’oublie pourquoi
j’ai des ami-e-s
des gens fantastiques
mais je manque de courage pour les voir
je manque d’énergie pour sortir
fake it til you make it
c’est trop fatiguant
j’ai un amoureux
tout ce qui me manque
c’est toi
entre nous deux
Le long de la rivière, je cours. J’essaie de ne pas réfléchir, de ne pas laisser mon esprit dériver trop loin. Je pense à mes pas, à la douleur physique, mineure en comparaison avec la douleur immense et constante de l’absence de Paul.
Je chasse de mon esprit l’image que je m’étais faite, avant même la naissance, de Paul dans la poussette achetée spécialement pour qu’on puisse aller courir avec lui. Je résiste contre le rêve éveillé qui s’impose. Moi qui cours, lui qui somnole dans le chariot. Dans cet univers-là, j’ai le sourire aux lèvres, je me fous un peu du temps que ça me prend pour parcourir chaque kilomètre. C’est pas grave d’aller lentement, c’est parce que j’ai eu un bébé, parce que je n’ai pas couru pendant plusieurs mois.
Mais réellement.
J’ai eu un bébé. Même s’il n’est plus là.
C’est pour ça que je n’ai pas couru pendant plusieurs mois.
C’est pour lui que mon corps s’est transformé.
Pour lui laisser la place de grandir, pour le nourrir.
Même s’il n’est plus là pour avoir besoin de moi, j’essaie de donner du sens à ce que je fais en le faisant pour lui. Il n’a pas besoin de moi mais je continue d’avoir le besoin pressant de sa présence avec moi, en moi. Faute de courir avec lui, j’essaie de courir pour lui.
J’y crois à moitié.
Une part de moi veut construire un narratif cohérent pour raconter mon parcours des derniers mois et des prochains.
Une autre part se moque de ces tentatives de donner du sens à l’absence. Une part de moi pense que de trouver un sens, c’est juste une façon d’éviter de faire face à l’abime.
Une amie me disait hier que selon elle, notre société accepte mal la douleur, qu’on a tendance à la fuir. Et c’est assez vrai, je crois. On essaie de pallier à la douleur physique et psychologique. On se dit, sans trop y penser, qu’il n’y a pas de raison de souffrir si on peut l’éviter. Des fois, je me laisse tenter, je prends une pause de la peine. Je l’évite, tant bien que mal, grâce aux nombreux moyens qui s’offrent à moi.
des siestes
des gin tonic
des émissions de télé en rafale
pour oublier les rêves que j’ai eus
pour arrêter de penser
Puis, la négociation interne reprend.
Même si la mort de Paul n’a aucun sens, même si par moments ma vie n’a pas de sens.
Je me pousse à avancer.
Un pied devant l’autre
même quand mes jambes me semblent tellement lourdes.
même quand mes pieds collent à l’asphalte.
même si ça sert pas à grand chose.
même si je n’aurai jamais le bonheur de partager les kilomètres avec Paul.
Un pied devant l’autre
le long des rues mouillées.
Une autre manif. Mes larmes coulent encore sous la pluie.
Cette fois, tout le monde marche pour des enfants (et des adultes) qui meurent inutilement.
Quand je pense aux parents gazaoui qui enterrent leurs enfants, je me dis que la vie manque de sens. Sauf peut-être celui d’essayer d’aller de l’avant.
Un pied devant l’autre.
Dans la course absurde au sens de la mort de Paul, vous répétez des mots que nous avons tous tant besoin d’entendre. Que nous ayons ou non connu cette perte, aussi cruelle qu’inexpliquée, nous avons profondément besoin de ces pieds que vous posez, un après l’autre, de ces mots que vous alignez habilement, avec une grande souffrance aussi parfois, on le sent bien. Vous nous ramenez à elle, à cette douleur de l’existence après la perte, à cette quête de sens qui nous fait vaciller aux confins des fatalités de la vie humaine. Vous nous ramenez à penser la mort, certes, mais vous nous rappelez aussi ce qui fait de nous une « espèce fabulatrice », comme le dit Nancy Huston, lorsqu’elle parle de notre capacité à tirer de l’adversité des symboles forts, beaux, vrais. Merci pour tout cet amour violent. Pour cette générosité et pour cette audace. Je souhaite que cet acte créateur en soit aussi un réparateur. Je lirai tout ce que vous écrirai.
Avec plusieurs semaines de délai, je veux simplement vous remercier pour votre commentaire. Je l’ai lu et apprécié en juillet mais je ne savais pas trop quoi y répondre.
Merci, donc, et j’ajouterai simplement que j’ai lu beaucoup des textes de Nancy Huston. Même si je ne suis pas toujours d’accord avec son point de vue, j’apprécie énormément sa façon de parler de la douleur, de la souffrance humaine…
I hear you and I shake my head in disbelief at what has happened (to Paul, to Zachary) and at the fact that we are still surviving. Still putting one foot in front of the other. You, still running. Telling ourselves whatever stories, or partial-truths, or rationalizations we must, in order to live in this grief.
I am sending you virtual encouragement for whatever grief emotion(s) tomorrow brings, and as always, I’m remembering Paul.