Ça a l’air tellement dramatique à dire. Ce qui est définitif – pour toujours, à jamais – a souvent cet air trop tragique. Mais c’est vrai. Je ne sais pas si je serai de nouveau heureuse un jour. Je ne sais pas si je réussirai à construire une nouvelle vie sur les fondations affaiblies que j’ai réussi à sauver du désastre de cette année.
Plus tôt aujourd’hui, je lisais un texte sur le blog Expecting the unexpected, où Meghan abordait la question de la hiérarchie des deuils, des douleurs. Je suis d’accord avec elle, en principe. C’est impossible de réellement connaître le deuil des autres, et peu souhaitable de le juger. Comme personnes qui choisissons de vivre des deuils de manière plus ouverte, voire publique, nous sommes déjà soumises au jugement des autres, de ceux et celles qui ne partagent pas notre expérience. Je n’ai pas envie de subir le jugement des « autres » par rapport à ma façon de vivre mon deuil. Je n’ai pas non plus envie d’être jugée par d’autres parents en deuil qui vivent leur douleur autrement. En principe, je suis tout à fait d’accord avec cette approche. Je veux accueillir la douleur des autres pour ce qu’elle est, et non en la comparant avec ma propre peine.
Pourtant, concrètement, j’ai de la difficulté à ne pas comparer. Je ne peux m’empêcher de comparer mes propres expériences de peine, de deuil, et, automatiquement, je les inscrit dans une certaine hiérarchie de douleurs. Il y a presque deux ans, j’ai fait une fausse-couche en début de grossesse. Je commençais tout juste à m’habituer à l’idée de cette première grossesse quand elle s’est arrêtée sans prévenir. Physiquement, l’expérience a été banale. Émotivement, par contre, j’ai été secouée. J’étais en voyage dans ma famille en France, loin de P., avec qui j’avais à peine eu le temps de célébrer la bonne nouvelle. Je me sentais seule au monde parce qu’il était sur un autre continent mais aussi parce que malgré les statistiques sur la prévalence des fausses-couches au premier trimestre, personne n’avait partagé avec moi une expérience de fausse-couche. Les premiers jours ont été difficiles. Puis, à mon retour à la maison, j’ai parlé de ce que j’avais vécu et les réponses ont fusé. Plusieurs femmes autour de moi ont partagé leur vécu, leurs grossesses arrêtées trop tôt. Elles ont contribué à valider mes émotions contradictoires, ma jalousie pas assumée, mon impatience à redevenir enceinte. La peine a continué mais elle s’est adoucie. Quand le mois d’août est arrivé, j’ai pensé à ce petit être-en-devenir qui aurait pu venir au monde.
Comme une arrière-pensée, un pincement de coeur.
Une toute petite faille dans mon bonheur.
Comparer cette faille d’alors au cratère qui me mine aujourd’hui est presque vain. La différence dépasse la question de l’intensité. La douleur des derniers mois, de maintenant, est d’une autre nature. Elle est fondamentalement autre. Immense. Englobante. Abimant mon être dans ses plus profonds retranchements. Elle est si vaste et intense à la fois qu’elle me semble infinie. Une peine sans fin dont les tentacules sadiques sont plantés en moi sans possibilité de les extraire, même au prix d’efforts énormes. Une peine à faire hurler. Une peine sans sursis, que les mots ne peuvent pleinement exprimer. Une peine que je tente de décrire, quitte à glisser dans une complainte mélodramatique.
Je ne veux pas comparer ma peine à celle des autres, mais si je la compare aux peines que j’ai eues, que j’ai vécues, je suis prise de vertige. La douleur de vivre sans Paul et le sentiment d’échec de ne pas l’avoir protégé de la mort assez longtemps me donnent la nausée, l’envie de crier jusqu’à vomir mes tripes.
PAUL
C’est vrai que même si in ne peut quantifier nos peines, notre deuil, elles ne sont toute égales. J’ai vaicu le contraire de toi. La perte de jumelles d’abord et la fausse couche ensuite. J’ai beaucoup de peine pour la fausse couche mais principalement parce que ça me replonge dans mon deuil des jumelles. Les deux deuils ne se compare et c’est encore plus vrai pour toi qui a vaicu la perte de ton petit bonhomme d’un mois.
En même temps, je sais qu’une fausse-couche peut être vécue très différemment selon le contexte. Je connais des femmes qui ont eu des expériences vraiment difficiles, et je peux imaginer (un peu) ce que ça doit être quand tu fais une fausse-couche après des années d’infertilité, par exemple. Et je ne peux qu’imaginer ce que ça doit être pour toi de vivre ça maintenant, alors que tu es toujours en deuil de tes jumelles…
yes- I »m glad you shared this. having had two experience you can rightly compare your two. I have a friend who has experienced both miscarriage and stillbirth and she too says they are beyond two different experiences.
Very different indeed, but probably just as much as two women’s miscarriages or two women’s neonatal losses can be from one another… Like i said, i totally agree with you and the goal of not starting to compare (and fall into « grief olympics »).
J’ai l’impression que c’est « normal » de comparer, que c’est humain… Mais il me semble que c’est vrai aussi qu’on ne peut pas réellement savoir ce que l’autre vit. D’un autre côté, il y a des situations qui sont tellement difficiles à vivre, peu importe les circonstances. Comme la tienne. Le décès d’un enfant… Hiérarchise, compare, hurle. Je te dirais bien « Gros câlin », mais ça me semble tellement peu par rapport à ce que tu vis… Toutefois, c’est tout ce que j’ai. Alors : Gros gros gros énormissime câlin.
En lisant ce billet, je me suis demandé si tu n’avais pas été blessée par mon dernier billet. Avertissement : Cette partie de mon commentaire s’applique juste si tu as effectivement lu mon dernier billet et qu’une partie t’as blessée/choquée/fâchée/créé un malaise. Si tu ne l’as pas lu, pas besoin de lire mon commentaire : je me dis que tu as certainement d’autres préoccupations plus importantes. Lorsque j’ai utilisé le mot « deuil » dans mon dernier billet, je ne l’écrivais pas pour toi. Je pensais davantage à un deuil de personne aimée mais moins proche qu’un enfant. Je ne disais pas que le deuil n’est pas une chose difficile en soi (AU CONTRAIRE!)… J’essayais juste d’expliquer ce que c’est, la dépression, que c’est le cerveau qui se détraque. Bref, je vais m’arrêter ici parce que tu n’as probablement pas lu mon billet et que je ne veux pas t’en rajouter sur tout ce que tu as à vivre en ce moment.
Merci pour ta présence et tes câlins virtuels.
Re: billet sur la dépression. Je l’ai effectivement lu mais je n’ai pas été blessée du tout. En effet, le deuil et la dépression peuvent être différents, et ils peuvent s’entremêler aussi par moments. Je n’ai vraiment pas eu l’impression que tu minimisais le deuil. Pas de stress! (mais merci de te préoccuper et de vérifier). xx
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