après le déluge

Ma grossesse pour Paul, comme celle-ci, a été rythmée par des rendez-vous mensuels, puis plus fréquents, à la maison de naissance. J’ai tellement de bons souvenirs associés à ce lieu. Entendre battre le cœur de mon bébé pour la toute première fois. Sentir la complicité et la confiance s’établir entre moi, P. et les sages-femmes qui assuraient le suivi de ma grossesse. Vivre un moment de soulagement à chaque rendez-vous ponctué de bonnes nouvelles — l’utérus grandit comme prévu, le cœur bat bien, l’échographie n’a rien révélé d’anormal. Même si l’accouchement que j’avais espéré ne s’est pas matérialisé, les heures passées dans l’une des chambres de la maison de naissance ont été immensément importantes pour moi. Elles m’ont permis de découvrir des capacités que je ne me connaissais pas, elles m’ont permis de me dépasser, elles m’ont fait apercevoir des possibilités prometteuses. Je me suis sentie en sécurité dans cet espace tellement plus en phase avec mes valeurs et mes souhaits que l’hôpital voisin où Paul est né.

Après la mort de Paul, nous sommes retournés à la maison de naissance pour revoir les sages-femmes qui avaient accompagné ma grossesse. Nous avons repris nos places dans les mêmes chaises, dans le même bureau. Cette fois, les lieux n’étaient plus porteur de l’espoir qui avait enflé avec mon ventre pendant plus de neuf mois. L’espoir anéanti que nous portions maintenant sur nos épaules nous a suivi dans la pièce qui avait été si chaleureuse, si prometteuse.

Je crois que ce jour-là, la douleur a débordé de mon être au point d’inonder toute la pièce. Elle a coulé dans tout le petit bureau, a submergé le lit, s’est infiltrée sous la porte jusqu’à la salle de réception, s’est abattue sur le bureau de la réception. Les espaces paraissent intacts aux yeux des autres mais quand j’y entre, je vois la ligne verdâtre que cette inondation a laissé à mi-mur, la moisissure qui s’est incrustée dans les pages des livres de la bibliothèque, sur les fauteuils, dans les draps qui recouvrent le lit qui sert pour les consultations. Même si l’espace a été nettoyé, les traces du déluge sont ancrées dans tous les recoins. L’odeur de trop de douleur transparait malgré toutes les tentatives de la camoufler.

Une odeur de peur qui m’accompagne quand je pousse la porte. Je viens d’avoir mon troisième rendez-vous de suivi. Je n’ai pas encore tout à fait perdu l’habitude d’attendre chaque rendez-vous avec impatience. Et pourtant, ces rencontres ne m’apportent plus le réconfort et le bonheur si présents pendant mon suivi de grossesse précédent. Je me sens à peine là. J’avais tant de questions à poser la dernière fois, je me sentais si engagée. Je dois maintenant me concentrer pour avoir l’air à peu près présente pendant le rendez-vous. Le seul moment satisfaisant reste le rituel du doppler. Entendre le cœur de bébé-lentille me rassure. Mais même là, je n’arrive pas à me laisser aller dans cet espace trop marqué par l’histoire.

Pourtant, quand je suis seule, j’arrive à me connecter à bébé-lentille. Cette semaine, j’ai commencé à sentir ses mouvements encore délicats mais de plus en plus affirmés en posant une main sur mon ventre. Ces petits messages lancés involontairement me comblent, me donnent l’impression d’être suspendue au-dessus du quotidien. Pendant quelques secondes, je retrouve le bonheur d’une connexion avec mon enfant. Je sais que cette capacité à m’impliquer émotivement dans ma grossesse est là. Je sais que quand je rencontrerai enfin bébé-de-mai, je réussirai à lui offrir autant d’amour qu’à son grand frère. Mais je sais aussi, maintenant, que des conditions favorables doivent être réunies pour que je réussisse à accueillir cette grossesse, et — si tout va bien — le bébé qui en résultera à travers les ravages encore bien présents qu’ont laissé la mort de Paul. J’essaie d’en tenir compte, tant bien que mal, dans les décisions que j’ai à prendre pour cette grossesse…

réflexion à poursuivre…

3 réflexions au sujet de « après le déluge »

  1. I can relate so much to everything about pregnancy being tainted following the loss of a son or daughter. It is difficult to go back to a place where there was so much innocent expectancy, where all of the sights, sounds and smells are now poisoned, and now you’re trying to be hopeful and positive about the new life you are carrying. I’m sorry it can’t be a place that fully reminds you of the happy anticipation of Paul.

    Although rare, it’s wonderful to have those brief moments of almost pure connectedness with your new unborn child. I’m glad that small movements are beginning to do that for you. You and he/she deserve it, just as you and Paul did.

    • Thank you Gretchen. I so appreciate feeling understood. It is all so complicated now… What should be a simple and uniletarally happy time, a wanted pregnancy, now so filled with difficult memories and worries.

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