Noël 2013. Je suis enceinte jusqu’aux oreilles. Physiquement, je me sens lourde et épuisée. J’ai l’impression que mon corps n’en peut plus de cette grossesse. Je prends une bière sans alcool pour faire semblant de faire la fête avec les autres mais elle n’a pour effet que de me faire enfler les pieds et les chevilles, qui ne forment maintenant qu’une structure unique et rotonde. J’en ai marre d’être enceinte. J’essaie de ne pas me laisser aller à jalouser ma cousine qui doit accoucher deux semaines après moi et qui semble en pleine forme.
Malgré l’inconfort, je me sens heureuse, pleine d’espoir. J’ai l’impression que l’année 2013, qui avait plutôt mal commencé, cèdera sa place à une année glorieuse. Un an plus tôt, mon temps des fêtes avait été marqué par une fausse-couche. Loin de chez moi, et loin de mon amoureux, j’avais dû faire face à la fin abrupte de cette grossesse que j’entamais tout juste. J’avais ensuite passé les premiers mois de 2013 à tenter de faire taire ma peur tout à fait irrationnelle de ne pas pouvoir retomber enceinte. Puis, la grossesse tant désirée s’était révélée beaucoup plus pénible que je ne l’avais escompté. Mais là, fin décembre 2013, il me semblait que ces obstacles — somme toute mineurs, j’en conviens — ouvraient la porte à un avenir qui serait forcément heureux.
En cette fin d’année 2014, alors que les billets bilan-annuel-et-voeux-de-bonheur se multiplient sur les réseaux sociaux, je me sens un peu ébahie. Comme si j’avais de la misère à concevoir que tant de gens autour de moi ont passé une année qu’ils qualifient d’exceptionnelle. Il faut croire que j’ai évité toute l’année de reconnaître que la vie des autres avait continué d’être belle. Cette impression est renforcée par le fait que la rétrospective de mon année qu’a généré facebook commence par des moments si heureux, l’arrivée de Paul dans nos vies, ses premiers jours. Le reste de l’année semble en suspens : Paul ne grandit plus, il ne nous accompagne pas dans nos activités, nos visages semblent parfois témoigner du vide immense dans nos vies.
Je ne sais pas exactement ce qui nous pousse à vouloir partager les événements heureux qui nous arrivent. Je sais que si les choses avaient été autres, si Paul était avec nous aujourd’hui, j’aurais probablement eu envie de partager le petit montage proposé par facebook sans trop me poser de question. J’aurais peut-être simplement été motivée par l’envie, le besoin, de créer et d’entretenir un sentiment de communauté en donnant des nouvelles, en partageant les événements ayant marqué mon année. Il est beaucoup plus difficile, je trouve, de partager le triste, le laid, le compliqué.
Pourtant, c’est la réalité. Mon année 2014 a été triste, compliquée, épuisante. Si je tentais de l’illustrer avec un semblant d’honnêteté, je serais forcée d’intégrer au montage des images d’ambulance, d’hôpital, de salon funéraire… Paul trop petit pour être branché sur autant de machines, les heures d’angoisses passées près de lui, sa dernière journée, puis sa dernière heure dans nos bras. Son petit corps éteint, au milieu du grand lit d’hôpital. L’urne qui suffit à accueillir ce qu’il reste de ce corps. Il y aurait aussi des images des jours d’errance, de pleurs, de désespoir. Je devrais montrer la laideur de toute la peine qui ne laisse de place pour rien d’autre. Les sautes d’humeur, l’impatience, les envies de passer la journée cachée sous la couette.
Il y aurait tout ça, et il y aurait aussi la famille et les ami-e-s qui m’ont entourée, soutenue, portée parfois. Il y aurait les dizaines de personnes qui sont venu rendre hommage et dire aurevoir à Paul, le 15 février dernier. Il y aurait tous les messages qu’elles lui ont adressé. Il y aurait les personnes qui ont fait fi de leurs peurs, de leurs inconforts pour nous tendre la main, nous parler, nous entendre. Il y aurait les lettres reçues, les heures passer à parler, à raconter, à ressasser. Il y aurait les petits plats, les pots de sauce à spag’ et les galettes aux canneberges. Il y aurait les bougies allumées, la petite figurine de marcassin offerte par a sœur de P., les petits carrés brodés pour Paul. Il y aurait les enfants qui feuillettent le carnet de Paul et qui me parlent de lui. Il y aurait les soirées à boire, à danser, à rire pour oublier, à pleurer un peu aussi.
Il y aurait plein de choses compliquées. Des tristes et des laides.
Et aussi plein de belles choses. Des moments lumineux au milieu de toute cette noirceur.
Paul a marqué notre année 2014, mais aussi toute notre vie.
I can’t read the text, but what a beautiful picture.
Ping : un cache-couche | le marcassin envolé