laid

Depuis un an, j’ai bénéficié de beaucoup de soutien – j’en ai parlé plusieurs fois ici et ailleurs. J’ai aussi reçu plusieurs commentaires positifs par rapport à la façon dont je vis mon deuil. Je suis reconnaissante d’avoir autour de moi des gens avec qui je peux partager mon expérience, la façon dont j’ai vécu la mort de Paul, et mes réflexions depuis. Mais en entendant les commentaires – et un en particulier, récemment – j’ai l’impression que je met de l’avant une image incomplète de l’expérience du deuil.

Parce qu’au-delà des images et des textes que je partage, et desquels l’esthétique est soignée, au moins minimalement, au-delà des moments de recueillement plus collectifs, qui sont beaux comme peuvent l’être les liens qui nous unissent les un-e-s aux autres, au-delà de tout ça, il y a des moments laids et sans poésie. Il y a tous ces moments que je choisis de camoufler, présentant ainsi un portrait partiel et poli de la réalité.

Ça va de soi, peut-être, à cette ère d’échanges virtuels et de mise en scène de la vie quotidienne. Mais de la même façon qu’il est facile de perdre de vue que notre amie facebook ne mange pas à tous les repas une assiette digne d’être immortalisée, ou que la photo de fin d’entrainement d’une autre a été savamment sélectionnée parmi toutes celles où les cheveux collés dans la sueur n’étaient pas aussi photogéniques, je pense qu’il est facile de penser, à la lecture de blogues de parents endeuillés, que le deuil d’un bébé n’est fait que de réflexions profondes sur la vie et d’image touchantes de moments de recueillement. J’ai peur de participer à la création de cette fausse réalité. J’ai peur qu’en camouflant une partie du deuil, pas tant par volonté de cacher mais plutôt par souci de ne pas ennuyer, je projette une image inexacte et irréaliste du travail de deuil.

J’ai beaucoup apprécié les réflexions de Meghan, sur son blogue Expecting the unexpected, et de Gretchen, sur Lost: boys and bearings, sur les aspects moins inspirants, voire honteux, du deuil. Leurs textes m’ont aidé à voir que je ne suis pas seule à me battre intérieurement avec des émotions que je préfèrerais ne pas vivre. Composer quotidiennement avec avec la tristesse et la colère qu’a provoqué en moi la mort de Paul rend pratiquement impossible la tâche de dominer mes sentiments moins « nobles », et je suppose que je trouve rassurant de savoir que je ne suis pas la seule à faire face à ce défi. J’imagine que ces idées ne sont pas neuves, qu’elles habitaient mon inconscient « avant » aussi. Mais « avant », elles restaient loin sous la surface de ma conscience alors que maintenant, elles s’imposent à moi, s’attendent à recevoir de l’attention.

sentierMaintenant, je dois faire face à ces émotions qui existent en moi, même si je les trouve laides. Je dois vivre avec la jalousie qui monte en moi face aux expériences banales et heureuses des nouveaux parents qui m’entourent. Je ne peux pas faire taire le mélange de frustration et d’envie que je ressens à la vue de toutes ces photos de bébés en santé qui grandissent dans mon univers virtuel. Je ne peux pas me sauver de ces idées qui m’habitent alors je suis forcée de les accueillir en moi, de les laisser flotter jusqu’à ce qu’elles se dissipent à l’horizon.

Je cohabite au quotidien avec cette laideur qui vit en moi, mais, je me rends compte, j’en parle peu. Je ne parle pas des moments d’impatience, des moments où le laid déborde et s’extériorise. Je choisis de ne pas partager les photos qui illustrent le laid, comme celle-ci, qui me rappelle ma jalousie à voir P. porter un autre bébé que Paul. Je ne décris pas les moments où je pleure de découragement parce que je n’arrive pas à contrôler la frustration provoquée par un inconvénient mineur du quotidien. Je ne partage pas tous ces moments où, malgré moi, l’idée que je méritais plus mon bébé qu’une autre monte en moi. Je ne parle pas de ces moments pas inspirants. Mais ils existent. Ils font partie de mon deuil, ils se mêlent au beau pour faire du difficile. Du vrai.

7 réflexions au sujet de « laid »

  1. thank you for the link. your words continue to ring true to my feelings. I especially appreciate the the term « noble »- it’s right on. grief, especially for baby loss, can look noble to the outside world, especially when we are sharing our « prettier » grief moments. your post reminds me of instagram (do you use?) – snapshots of life, that make people’s lived look better than they are, showing only the prettiest parts, while keeping the uglier parts hidden. I’m glad I »m not alone in knowing that there are others in the ugly with me too.

    • I don’t use instagram much but it does seem like it magnifies the effect of other social media — putting the cute parts of life on display while camouflaging what’s boring or ugly. I am not against it, but i need to remind myself all of our lives have darker (or boring) parts…

  2. I often struggle with the belief that what I’m able to convey via my writing is so inadequate when compared with what I actually feel and experience. And so, it often feels like a risk to put these fractional pieces of my existence « out there » for readers to consume, as a portrait of my grief. I guess it’s good that my readers are so few:). As honest as I try to be, I do find myself censoring the darkest aspects, if only slightly.

    Perhaps the most worrisome part for me is that some family and friends are reading my blog, and while the intent on both ends is I think positive, (i.e., me desiring for them to see parts of my grief, even some I cannot share in person, and them, wanting a glimpse of how I’m doing), I wonder if it’s too distorted, too limited a glimpse, to be meaningful. Alas, I keep trying.

    I felt the hot poke of jealousy for you, when I read your words and saw the photo here. The triggers are everywhere, I know.

    I realize that Paul’s name is nowhere in this comment and I can’t leave without saying his name…

    PAUL

    • All we can do is keep trying, i think. There is no simple answer to these questions.
      Thank you for your comment and especially for its beautiful end.

      B,W, & Zachary are here too…

  3. Merci d’être vraie, Typhaine. Merci de ne pas te cacher sous des faux-semblants. Ta phrase « Je ne partage pas tous ces moments où, malgré moi, l’idée que je méritais plus mon bébé qu’une autre monte en moi. » me rappelle que je me répète souvent, malgré moi, que mon enfant mérite une meilleure mère que moi, et que des fois je vais même jusqu’à me demander si ma fille ne serait pas mieux si je n’étais pas là. J’ai l’impression qu’on a le droit de les penser, ces phrases, même si elles ne sont probablement pas vraies. Parce que si on ne peut plus penser, on ne peut plus avancer. Enfin, c’est un début de réflexion… J’espère que tu ne m’en veux pas de faire des parallèles semblables… Enfin, si tu m’en veux (tu aurais bien le droit!), dis-le-moi, je serai plus vigilante à l’avenir.

    • Tu as raison, il faut se laisser penser. J’ai de la misère à mettre ça en application par moments mais j’essaie. Je crois que c’est vrai que c’est en « accueillant » ce genre de pensées qu’on peut les comprendre, les retourner dans tous les sens, et éventuellement s’en libérer…
      Tu sais, je crois que ta fille ne serait certainement pas mieux sans toi. Elle a de la chance d’avoir une maman qui l’aime et s’inquiète de lui offrir le mieux et le meilleur.

      (et je t’en veux pas du tout!)

  4. Tellement vrai. Moi je partage souvent le laid, en fait je ne partage pas souvent mais quand je partage c’est pas mal du laid… mais je partage le laid seulement sur mon blogue, ailleurs je le garde pour moi le laid.

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