Il y a plusieurs mois — si longtemps il me semble — j’écrivais sur mon impression d’avoir rêvé l’existence de Paul, de n’avoir pas vraiment vécu cette vie où il était avec nous. Les semaines où il a été avec nous ont passé si vite et les souvenirs s’estompent si aisément quand il ne se renouvèlent pas. Cette impression d’irréalité, cette difficulté à me remémorer du concret ne fait que s’aggraver avec les jours qui s’écoulent.
Chez nous, il y a plusieurs grandes photos de Paul encadrées. Il y en a des plus petites aussi, collées sur le frigidaire, cachées dans ma table de nuit, posées un peu partout. Dans le petit sac où je range mon téléphone et mon porte-monnaie, j’ai toujours un des petits carnets que l’on a faits pour Paul, avec des photos de lui et quelques petits textes. Et puis il y a toutes ces petites choses amassées depuis son décès, petits souvenirs glanés pour lui dans nos balades et nos errances. Mon quotidien est rempli de marques du passage de Paul dans nos vies, pourtant, tout cela paraît tellement irréel.
La présence d’Aimé, si imposante par sa corporalité — la texture de ses bras potelés, la douceur de ses cheveux presque invisibles, ses couches, ses rires, ses cris — met en relief l’absence de Paul. Il est là dans mon esprit, je dis son nom tous les jours, je cherche dans le visage d’Aimé les ressemblances avec lui. Mais au bout du compte, il n’est pas là et je n’ai que des souvenirs, qu’une jalousie confuse quand je vois ces enfants — plus tout à fait des bébés — avec qui Paul devrait aujourd’hui pouvoir jouer, que cette impression d’incrédulité totale quand j’imagine que tout aurait pu être différent.
Ces sensations sont pénibles, mais tellement moins douloureuses que le manque physique des premières semaines, des premiers mois. Avec le passage du temps, la déchirure qui m’habite se fait plus subtile, plus supportable. Mais avec la douleur qui s’apaise, les souvenirs s’effritent aussi. Je me prends à remplir mon quotidien de petits morceaux de Paul que je dois imaginer, à m’accrocher à des signes presque imperceptibles pour me convaincre que je saurai garder son souvenir vivant. Pour Aimé, pour qu’il connaisse son grand frère. Et pour moi.
À preuve, avant que la matinée grise ne me plonge dans ces réflexions, j’avais prévu simplement partager des photos de ces petits clins d’œil de Paul dans mes journées. Mais je suppose que ce n’est pas si simple. Je n’ai pas accepté que la vie de Paul soit réduite à ces « signes », qui confirmeraient que son existence n’a plus rien de palpable. Mais, ne vivant plus avec la douleur intense qui me garantissait une proximité fusionnelle avec le souvenir de Paul, je ne peux m’empêcher de remarquer ces petites empreintes de marcassin qui parsèment mes jours.
une étiquette remarquée sur un petit t-shirt qu’Aimé portait hier…