Il y a quelque chose de vrai dans les phrases cliché qui me faisaient si mal au début du deuil. Le temps arrange les choses. Ce qui nous tue pas nous rend plus fort-e. Même si ces platitudes si peu réconfortantes m’enrageaient il y a dix-huit mois, je reconnais aujourd’hui, un peu malgré moi, que le temps a en effet arrangé plein de choses. Je ne sais pas si je suis plus forte maintenant mais je crois que j’ai au moins préservé ma capacité à aimer aussi fort qu’avant. Le temps a adouci ma peine.
Paul me manque toujours mais j’arrive à vivre avec son absence assez sereinement, je crois. J’aime parler de lui, j’aime entendre son prénom, même quand c’est parce que quelqu’un se trompe et appelle Aimé par le nom de son grand frère. J’aime ces lapsus qui témoignent du lien entre mes deux fils, malgré la distance qui les sépare. J’aime être entourée de photos de lui pour essayer de pallier à ce fossé entre lui et moi, entre ces semaines si douces du mois de janvier 2014 et cette absence sans cesse renouvelée.
Ce que je déteste, c’est à quel point j’ai besoin de ces images pour me remémorer, me convaincre presque, qu’il a vraiment existé, qu’il a partagé et chamboulé nos vies. J’ai besoin, périodiquement, de revisiter ces images pour me réapproprier le vécu dont elles témoignent, le bonheur que j’ai vécu, l’insouciance qui m’habitait alors. Puis la douleur, le vide, la fin tellement abrupte, tellement incompréhensible. Je m’accroche à ces artefacts de la vie avant la mort de Paul parce que sinon, il ne reste presque rien, que ce vide que je ne réussis pas à combler mais dont les parois ne sont plus aussi tranchantes qu’au début. Un creux inconfortable et émoussé au fond du cœur et de la gorge.
Demain, ça fera dix-huit mois que j’apprends à vivre sans Paul, sans cet enfant que j’ai désiré, que j’ai aimé aussi profondément que j’en étais capable. J’ai réappris à fonctionner, j’ai fait taire le cri d’animal blessé dans ma tête, celui qui débordait et traversait mes paupières et mes lèvres. Il reste sagement à sa place maintenant, comme le sentiment de culpabilité qui m’envahissait si régulièrement il y a quelques mois. Ça va mieux. Mais ce constat ne me soulage pas. Je me sens mieux que l’année dernière à pareille date mais en même temps, je me sens plus dépourvue. L’an dernier, la douleur si vive me dictait la marche à suivre pour honorer le souvenir de Paul. Cette année, je ne sais plus trop.
Demain, une journée pareille aux autres. J’aimerais qu’elle soit différente, qu’elle soit inscrite dans le calendrier comme une journée rien que pour Paul, pourtant, dix-huit mois après son décès, je ne me sens plus la légitimité d’en demander autant. Demain, une journée pareille aux autres, sauf peut-être pour ce qu’on choisira d’en faire.
nos tout premiers moments à la maison. xxx
J’espère que je ne suis pas la seule qui lapsusse son nom, mais je suis contente de constater que ce n’est pas un faux-pas aussi terrible que je l’imaginais. Certainement que je penserai à lui aujourd’hui. xxx