J’étais tombée sur cette citation dans les mois qui ont suivi la mort de Paul. Je l’avais trouvée magnifique, j’avais envie de m’en souvenir. Je l’ai collée sur une photo d’une journée pleine de soleil passée dans le bas du fleuve avec des amies. Le bleu du ciel et la chaleur des roseaux sous lesquels nous nous étions couchées me semblaient tout désignés pour accompagner ces mots.
Je ne voulais pas oublier ces moments où la solitude encore neuve et choquante de l’absence de Paul avait cohabité en moi avec le réconfort d’être bien accompagnée. C’était, je crois, un des moments où j’ai commencé à entrevoir à quel point Paul serait toujours près de moi, en moi.
Paul m’accompagne parce que je le veux près de moi. Il est là, tout près quand je trace les lettres de son nom, sur un papier ou sur la surface embuée de la porte de douche ou dans la neige d’un sentier. Il est là quand j’achète, à moitié pour Aimé, à moitié pour moi, un livre intitulé Petit Paul. Souvent, il est là parce que je l’invite, chaque jour, à être tout près.
D’autres fois, c’est lui qui s’invite. C’est lui qui me rappelle que son existence est tissée serré au travers de la mienne. Comme cette semaine, dans une rencontre d’un groupe s’adressant à des personnes ayant vécu difficilement leur-s accouchement-s. J’ai trouvé la naissance de Paul, par césarienne, intensément difficile. Celle d’Aimé aussi. Mais même si en principe les deux accouchements que j’ai vécus n’ont rien à voir avec le décès de Paul, sa mort et son absence prennent énormément de place dans la façon dont je vis les suites de mes deux accouchements. En entamant le récit de ces expériences, je n’avais pas pleinement saisi cela.
Assise sur un petit siège dans une salle où j’avais déjà assisté à des rencontre pour parents endeuillés, j’ai commencé à parler. Des les premières phrases, j’ai senti ma voix se briser, comme un avertissement de ce que je devrais forcément nommer pour parler de mes accouchements. Parce qu’entre l’un et l’autre, si rapprochés, il y a Paul.
Paul qui nait, et qui est, et puis qui n’est plus. Paul qui nait et qui meurt à l’hôpital en moins d’un mois. Paul qui laisse un gouffre béant dans mon corps et dans ma vie.
En allant à cette rencontre, la toute première d’une série offerte par un groupe d’accompagnantes à la naissance, je ne savais pas trop ce que j’allais chercher. Quelques pistes pour pouvoir envisager un jour d’accueillir de nouveau dans mon ventre un bébé, peut-être, pour accepter l’issue, quelle qu’elle soit, d’un éventuel troisième accouchement. Je cherchais sans trop savoir ce que j’allais trouver.
Au cœur de ce nœud complexe de liens malmenés, de doux rubans, de cables traitres et tranchants, de fil et de fils, j’ai été surprise de trouver à quel point Paul — sa vie, sa naissance, son absence — pèse lourd dans ce récit, dans ces expériences.
Après coup, ça me semble évident.
Évidemment qu’il est là.
Toujours là.