parler/écouter

« Bravo! Bravo de dire « oui » à la vie! »

J’aime parler de Paul.
J’aime entendre parler de Paul.
J’aime quand une personne me dit qu’elle a pensé à Paul, ou que son enfant en a parlé.

J’aime que Paul existe dans l’esprit des personnes qui nous entourent, qu’il continue de grandir en peuplant l’imaginaire de nos ami-e-s, de nos neveux et nièces, de ceux et celles qui ont eu l’occasion de le rencontrer — en personne ou en histoires.

J’aime sentir que Paul ne vit pas qu’en nous, qu’il ne nous appartient pas. J’aime sentir qu’à sa manière, il existe en orbite de nos vies, nous frôlant par moments pour mieux s’éloigner, prendre son envol, nous revenir plein de lumière.

Pour entendre parler de Paul, il faut que j’invite les personnes qui nous entourent à partager ces moments où il a traversé leurs pensées, il faut que j’apprenne à apprivoiser les scénarios dans lesquels d’autres le font exister, même si ce ne sont pas les miens. J’y arrive assez sereinement, d’habitude. Même si je ne partage pas les croyances de mes grands-mères, par exemple, je suis heureuse qu’elles fassent vivre Paul à leur(s) manière(s), qu’elles perçoivent sa présence dans leurs rituels. Et si elles ont envie de me le partager, ça me va aussi.

Je veux parler de Paul, et entendre parler de Paul mais je n’ai pas envie — ni besoin — que l’on m’impose ces discussions. Surtout si ce n’est finalement pas vraiment de lui dont on parle. Surtout si on se connait à peine. Surtout si on est au milieu d’une activité. Surtout si tu ne me demandes pas mon avis. Surtout si j’ai l’impression que tu m’imposes une conception de la vie — et de la mort — que je ne partage pas.

« Bravo de dire « oui » à la vie! » ?

Est-ce que j’ai dit « oui »? Est-ce que je dis « oui » ?
Je ne sais pas. Je ne suis pas certaine de ce que ça veut dire.
Je ne me souviens pas avoir dit « non » non plus.

Je n’ai pas envie de recevoir de félicitations pour ce que je fais ou pas, pour ma façon de vivre mon deuil. Je n’ai pas envie qu’on juge de la bonne manière de vivre la peine immense de perdre son enfant. On fait tou-te-s ce qu’on peut devant l’immensité du vide.

On dit oui, et non, et peut-être, et ché pas. Ou rien pantoute.

IMG_5993.JPGMoi j’aime parler de Paul. Et j’aime entendre parler de Paul.

Pour reprendre ces termes qui ne sont pas les miens, je dis oui à la mort aussi.

Je n’ai pas (eu) le choix.

4 réflexions au sujet de « parler/écouter »

  1. Tu n’as certainement pas eu le choix de perdre ton cher Paul, mais il reste qu’il y a un choix que tu as effectivement fait à mon humble avis : être ici aujourd’hui, malgré tout.
    Peut-être faut-il vraiment avoir songé sérieusement et concrètement à se donner la mort pour réaliser que dire « oui à la vie » – ou dire « oui à sa vie » si on veut être plus précis – est bel et bien une décision qui reste à notre disposition? Beaucoup de gens qui traversent de dures épreuves font ce choix implicitement et naturellement sans même se poser la question, et c’est sans doute tant mieux. Mais pour les gens qui comme moi ont dû longuement soupeser la question sous toutes ses coutures, qui ont dû faire un effort monumental pour trouver du sens à la vie alors que seule la mort paraissait en receler, être ici aujourd’hui à poursuivre son existence – à avoir dit « oui » en quelque sorte – représente clairement un choix.
    Je n’ai pas choisi que Laurent meure, j’aurais échangé ma vie contre la sienne si j’avais pu un seul instant; j’affronte quotidiennement mon deuil comme je le peux et non comme je le décide; mais j’ai dit oui à ma vie et non à ma mort et je suis en paix avec cette décision aujourd’hui, même lorsqu’un grand moment de désespoir survient.
    Le contexte de la discussion me manque bien sûr pour saisir ce que ton interlocuteur ou ton interlocutrice voulait dire exactement en te félicitant de dire « oui à la vie ». Peut-être que ça n’avait juste pas rapport avec ce que je viens d’écrire, peut-être que c’étaient juste des propos un peu trop ésotériques ou moralisants. Je ne cherche pas à l’excuser. Mais je tenais seulement à te dire que oui tu as (eu) le choix, même si ce n’est pas le choix auquel tu penses. Je tenais à te le dire parce que ce choix-là dont je parle existe réellement pour chacun-e d’entre nous, et qu’il est trop important pour être passé sous silence ou pris pour acquis.
    J’espère que mes propos ne te choqueront pas d’une manière ou d’une autre. Sinon, je tiens sincèrement à m’excuser.
    Je pense souvent à toi et à tes deux petits amours. -xx-

    • Merci de partager ton point de vue. Je n’avais pas perçu le commentaire comme ça — plus comme un « good job! Tu vois la vie du bon côté! » — et peut-être que ta lecture est plus près de l’intention initiale…
      Je pense que pour moi, le choix de vivre (qui est un peu différent de ce que j’entends dans « dire oui à la vie ») s’est fait rapidement et sans trop de délibération, en effet. Pendant les premiers jours de choc, j’ai pensé que j’allais peut-être mourir parce que j’avais trop mal, mais je n’ai pas envisagé de moi-même remédier à la situation… Cela dit, tu as raison que ça reste un choix.

      Plein de pensées pour toi et pour Laurent. xxx

  2. It is so difficult when someone imposes their theory or presumption on us, as it relates to how we are living and coping. ESPECIALLY when they congratulate us for it – expecting us to pat ourselves on the back too. And for me, ESPECIALLY when they think they can interpret the complicated integration of my losses/grief via a 90 second interaction.

    I find that when it is someone particularly close to me, it is almost intolerable,… I suppose because I have higher hopes of *some* understanding, or at least recognition that an outsider’s understanding is oh so limited.

    I wish I had the right words to combat these situation, but I never do. I am often caught off guard, and usually left feeling shocked, confused, violated and misunderstood.

    Thinking of your sweet Paul.

    • I so agree with this : « ESPECIALLY when they think they can interpret the complicated integration of my losses/grief via a 90 second interaction. »
      I think that it is what bothered me most. Being interrupted in what was a pretty simple / happy moment made me feel guilty for enjoying myself and even more, for projecting a happiness that was letting people believe my loss is no longer relevant to my everyday life.

      I guess i wish people understood better that i can have moments of relative peace and joy while also grieving… But i am fortunate to be surrounded by many people who seem to get it and I haven’t received many comments from people closer to me — i am so sorry you had to deal with that.

      Thank you for your words Gretchen. Thinking of your boys too.

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