lentement

Les changements se sont faits doucement, lentement.
Comme l’âge qui s’installe subtilement dans les corps et les visages, changements imperceptibles au quotidien mais qui nous sautent aux yeux en feuilletant un album de vieilles photos.

Tout à l’heure, au hasard d’un podcast, j’écoutais une femme parler du journal particulier que tenait son grand-père. Pour chaque journée de l’année, une page désignée où il consignait diverses informations. Ses projets du moments, ses repas, sa pesée annuelle… des archives analogiques minutieuses, d’avant le temps où tout s’enregistre, qu’on le veuille ou non, d’avant l’ère de facebook qui m’accueille le matin avec des « souvenirs », sans faire de différence entre des moments réellement marquants, parfois intenses, et la plus insignifiante des pensées que j’ai eu l’idée de partager il y a quatre ou cinq ans.

J’imagine un instant ce qu’un tel cahier de ma vie contiendrait. Puis je me rends compte que les mots qui s’accumulent sur ce blogue depuis deux ans et demi constituent ce genre d’archives. Alors que je rédige ces billets — et, je suppose, alors que d’autres les lisent — mon état d’esprit se modifie, doucement mais certainement. Mon deuil, central à cet espace d’écriture, évolue. Sans que je m’en aperçoive, de jour en jour, mes idées se succèdent et se renouvellent.

Lire ce que j’ai écrit il y a douze mois, il y a deux ans, me permet de saisir plus clairement ce qui a changé — et ce qui ne change pas, ou si peu.

Il y a un an, j’étais surprise et perplexe chaque fois on me demandait si je souhaitais avoir un troisième enfant. Ça me semblait complétement précipité. Me relire m’aide à voir que je me suis un peu habituée à cette idée, qu’elle ne me semble plus inusitée, même si l’angoisse entourant mon expérience de l’accouchement, qui m’habitait intensément l’année dernière, n’a pas évolué énormément.

Si j’arrive à imaginer clairement le fil qui relie ce que je vivais en novembre 2015 à ce que je vis aujourd’hui, je peine à me replonger dans ce qui m’habitais il y a deux ans. J’ai de la difficulté à reconnaitre qui j’étais.

Je me reconnais dans ma crainte avouée d’être trop mélodramatique. Et pourtant, mes termes suintent d’une douleur impossible à camoufler :

Je ne sais pas si je réussirai à construire une nouvelle vie sur les fondations affaiblies que j’ai réussi à sauver du désastre de cette année.

[…]

La douleur de vivre sans Paul et le sentiment d’échec de ne pas l’avoir protégé de la mort assez longtemps me donnent la nausée, l’envie de crier jusqu’à vomir mes tripes.

Je peine à me rappeler qui j’étais.

Le changement s’est fait lentement, mais il est immense. Violent même.
J’imagine que je peux prendre le temps qu’il faut pour mesurer l’ampleur de la distance qui me sépare de 2014. Ça aussi, ça se fera en son temps.

///////

billet inspiré par le thème « lent.e » du projet MotsVembre

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s