Aimé aime les nombres et il aime comprendre le monde qui l’entoure. Il nous pose énormément de questions pour arriver à se situer dans le temps et dans l’espace. Souvent, ça ressemble à « demain est-ce qu’on va au CPE? » ou « est-ce que ça existe mille fois un million? »
Ce matin au réveil, il s’est tourné vers Patrice pour lui demander :
– Une page de calendrier, c’est un mois?
– Oui, c’est ça.
– Vous avez eu un mois avec Paul. C’est long.
– Ben… pas très long, a répondu Patrice.
– C’est long et court en même temps, j’ai ajouté.
Il n’a pas insisté très longtemps.
Je devais avoir huit ou neuf ans quand, à la toute fin de l’année scolaire, j’ai réalisé que l’année avait passé plus vite que la précédente. J’avais entrevu que le temps passerait de plus en plus vite mais je n’avais pas imaginé que certains moments de la vie passent plus lentement que d’autres. Que pendant le premier mois de la vie de mon premier bébé, je graverais les jours en moi, qu’ils s’écouleraient lentement et paisiblement. Que les jours qu’il passerait aux soins intensifs se déplieraient au ralenti, chaque détail s’inscrivant dans ma mémoire, dans mon corps.
Tant de mois dans ma vie se sont empilés les uns sur les autres. J’ai oublié le quotidien, les réveils, les repas cuisinés, les cours suivis, les livres lus, les rues parcourues, les sorties, les gens que j’ai croisés. En comparaison, j’ai beaucoup retenu du mois passé avec Paul. Je l’ai revisité encore et encore.
Ce n’est pourtant qu’un si court laps de temps. Quatre semaines, d’un samedi soir à un samedi soir. 650 heures environ.
Ça me semble si court maintenant.
Et les années qui se sont écoulé depuis aussi. Six ans, c’est long ou court? Certaines des journées ont été interminables. Les premières surtout, quand j’avançais, hébétée, comme dans une mare de goudron. Certaines ont passé vite, forcément. Elles se sont accumulées si vite que, sans que je le réalise tout à fait, mon bébé aurait eu six ans cette année.
Six ans. 72 pages de calendrier.
Aimé trouverait ça long, c’est certain. Si long depuis les derniers moments partagés avec Paul. Mais moi j’ai souvent l’impression que c’était avant hier.
Un dessin d’Aimé représentant « toute la famille » et la cabane à oiseau qu’on a décorée ensemble pour l’arbre de Paul et qu’on a accrochée pour son anniversaire.
Tellement vrai