le grand vide

J’ai le cœur brisé et la gorge en boule. Je m’ennuie des super pouvoirs dont j’ai profité quelques brèves semaines. Je m’ennuie de me réveiller dès les premiers sons de Paul, de l’allaiter dans la nuit, fatiguée mais tellement heureuse. Je m’ennuie de pouvoir lui offrir tout ce dont il avait besoin, en lui offrant simplement le sein. Ces jours-ci, quand j’entends un bébé pleurer, je me sens complètement chamboulée. Je ne peux plus répondre aux besoins de mon bébé, et me sentir heureuse d’avoir pu l’apaiser. Je reste là, impuissante, à sentir les larmes monter et s’échapper de moi contre mon gré…

La vie pue parfois. Elle nous arrache des bouts du cœur, elle nous déchire l’intérieur. Depuis plus de deux mois, je vis les semaines les plus difficiles de ma vie.

Le 4 janvier, après un long travail qui nous a amené de la maison de naissance à la salle d’accouchement de l’hôpital pour finalement se terminer avec une césarienne d’urgence, j’ai accouché d’un petit être. Un bébé magnifique et vorace et plein de tonus. On l’avait tellement attendu. On a entamé une vie à trois pleine de bonheur et de douceur.

Le 29 janvier, tout a basculé. Paul a fait un arrêt cardiaque dont la cause reste nébuleuse. Le trajet en ambulance, la réanimation, les policiers qui nous questionnent — c’est le protocole — l’arrivée à l’unité de soins intensifs pédiatriques. Tout s’est bousculé. Puis l’attente. Pendant trois jours. Marqués d’espoirs déçus, de tristesse sans nom, et d’un sentiment d’irréalité déroutant.

Pendant le séjour de Paul aux soins intensifs, une belle-sœur que j’aime beaucoup nous a dit : “Vous êtes en train de vivre la pire chose qu’il puisse arriver à des parents”. Et c’est vrai. J’aurais tout donné pour que les choses aillent différemment. Pour qu’on en arrive pas à devoir laisser partir ce petit être qui a à peine eu le temps d’être, justement. Mais qui a profondément marqué nos vies, à son papa et à moi.

Par moments, j’ai l’impression que c’est tellement énorme, tellement grave, qu’on en sortira jamais. Il y a des journées où j’ai l’impression d’être tellement engluée dans la tristesse. Dans la culpabilité aussi. Je repasse tous les moments douloureux dans ma tête, je révise l’histoire. J’aurais tellement voulu que les choses se passent autrement, que nous ne soyons pas forcé-e-s d’emprunter ce chemin cahoteux et pénible. Dans l’univers parallèle où nous aurions déambulé tranquillement (ou peut-être pas tant que ça) sur le chemin de la parentalité, nous aurions des problèmes auxquels j’avais hâte de me frotter : les fesses irritées, les brassées de lavage interminables, le défi de faire pousser un enfant selon des principes féministes et anti autoritaires…

Dans la réalité, on a plutôt dû faire face à des problèmes d’un tout autre ordre : laisser mourir un bébé que de nombreuses machines auraient pu maintenir dans un état de survie précaire, choisir une urne, organiser un rituel pour partager cette perte innommable. Puis, tenter de vivre après tout ça. De fonctionner. De passer à travers.

 

2 réflexions au sujet de « le grand vide »

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