Mettre des mots sur la peine et sur la douleur qui m’habitent me semble une mission presque impossible. Par moments, quand je suis entourée de mes amies, de mon amoureux, des gens avec qui je suis le plus à l’aise, je réussis à me sentir à peu près bien. Pas le genre de bien-être qu’on atteint quand, le temps d’un instant particulier, on se dit qu’on est en train de vivre un moment mémorable, exceptionnel. Plutôt, j’arrive à atteindre la joie tranquille qui me vient assez naturellement quand je ne réfléchis pas trop. Elle est entrecoupée de pointes de tristesse mais je réussis à passer des bons moments en bonne compagnie.
Dans d’autres contextes, par contre, je me retrouve tout aussi facilement étourdie par l’immensité du vide devant moi, en moi. Je prends conscience de la profonde anormalité de la situation dans laquelle je suis plongée.
Il y a quelques jours, j’écoutais un podcast dans lequel une femme d’une vingtaine d’années disait que les gens qu’elle rencontrait semblaient la fuir quand elle mentionnait que sa mère venait de mourir. L’animateur de l’émission et “sex advice columnist” (Dan Savage) lui répondait qu’en effet, dans la vingtaine, c’est tellement anormal d’avoir perdu un parent que la réaction de peur des personnes autour d’elle n’était pas forcément surprenante. Ce genre de commentaire me laisse perplexe. J’ai envie de m’insurger et de dire qu’au contraire, c’est une réalité “normale”, puisque c’est aussi la mienne. Mais en même temps, ça valide mon sentiment de vivre une situation difficile et peu commune. Ça me confirme que j’ai le droit de me sentir aussi bouleversée et frustrée.
Ça fait déjà plusieurs années que je vis sans ma mère, puis sans mon père. J’avais appris à accepter cette réalité sans que ce soit tout le temps douloureux, sans me sentir constamment en colère. Mais depuis la mort de Paul, j’arrive plus difficilement à accepter. J’ai l’impression que mon arbre généalogique a été pris d’assaut par un enthousiaste de la chainsaw.
Quand j’ai annoncé que j’étais enceinte, une tante m’a dit, pleine d’émotions, qu’elle avait l’impression que c’était la vie qui triomphait avec cette nouvelle génération qui allait de pointer le bout du nez. Même si le reste de ma famille ne l’a pas exprimé en tant de mots, je crois tout de même que ce sentiment était partagé. C’est ce qui transparaissait chez plusieurs personnes quand elles ont rencontré Paul. De mon côté, sans l’avoir verbalisé, je crois que j’envisageais d’enfin recréer une cellule familiale qui ne porterait pas le poids de la mort.
Je réfléchissais déjà à la manière de parler à Paul de ses grands-parents. Je voulais que ce soit un souvenir doux et rassurant pour lui, qu’il les connaisse comme des personnes à part entière, qui l’auraient aimé assurément. Je voulais trouver un équilibre pour qu’il puisse avoir confiance en la vie, en la longévité qui l’attendait tout en évitant que leur absence dans sa vie ne soit trop normale — qu’il sache qu’ils auraient dû être là pour lui, pour nous.
En ce jour d’anniversaire de mon père, une date que je veux continuer de souligner, à tout le moins dans ma tête, je me questionne sur l’avenir. Comment pourrai-je rendre réelle l’existence de tous ces morts qui sont tellement présents pour moi mais qui ne seront qu’absents pour les enfants qui se joindront éventuellement à notre famille? Je n’ai pas envie de les entourer de pesanteur et de tristesse, mais je veux qu’ils, elles se sentent entourés de ces présences… Leur grand petit frère, leurs grands-parents. Je veux pouvoir partager avec eux/elles, éventuellement, l’image qui se dessine dans ma tête, dans mon cœur. Christine, Jacques, Paul, et les autres, ceux et celles qui sont encore là… nous toutes et tous, partageant une réalité, un réseau, une famille. J’espère qu’un jour je saurai peindre cette scène suffisamment clairement pour pouvoir la partager.
Pour Jacques, grand-père du petit marcassin…
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