Six mois maintenant depuis la mort de ma mère, six mois, et mon deuil ne se passe pas comme dans les livres. Maintenant, on doit le faire, à l’exemple des tâches quotidiennes, c’est-à-dire ranger bien vite sa peine dans un placard. […]
Autrefois, on portait le deuil. Porter le deuil comme on supporte une charge lourde sur les épaules, un poids qui nous fait ployer. »
– Louise Dupré, L’Album multicolore, p.66-67
Je me souviens, enfant, avoir trouvé cruelle l’idée de porter le deuil. Ça me semblait étrange de forcer les gens en deuil à s’afficher publiquement. À la mort de ma mère, je me rappelle avoir été contente de pouvoir passer inaperçue, d’avoir la possibilité de vivre publiquement comme si de rien était, de ne pas avoir à faire face aux conversations que je voulais à tout prix éviter.
Une part de moi continue d’apprécier que l’on n’impose plus de porter le deuil pour un temps déterminé, que l’on offre aux personnes endeuillées une anonymité qui leur permet de vivre leur deuil plus secrètement si elles le souhaitent. Mais cette invisibilité grandissante du deuil me pèse parfois. Certains jours, j’aimerais porter un signe apparent de la peine qui m’habite. J’ai marqué mon corps de façon indélébile en souvenir de Paul mais cela ne suffit pas à envoyer un signal limpide dans le monde. Quand je me sens inadéquate parce que la peine que je porte prend soudainement de l’expansion, qu’elle me remplit, que je la sens pousser du fond de ma gorge pour sortir, quand l’effort à fournir pour contenir la douleur devient tellement intense, je voudrais que mon deuil soit visible, que cet état de convalescence soit reconnu.
Trois fois au cours des des deux derniers jours, j’ai atteint cette limite de mes capacités d’adaptation, de ma flexibilité face à la peine. Trois fois j’ai dû avoir recours à des excuses pour me sauver, pour me protéger, pour ne pas « faire de scène » (alors même que je suis choyée d’être entourée de personnes compréhensives et aimantes). Dans ces moments-là, je voudrais porter le deuil. Je voudrais que la durée de ce deuil soit vue comme normale.
J’imagine qu’elle l’est, dans une certaine mesure. Encore maintenant, sept mois – exactement – après la mort de Paul, certaines personnes continuent de me demander comment ça va, avec un ton et un intérêt qui me permet de leur répondre avec le plus d’honnêteté possible.
Et la réponse, aujourd’hui, est un « ça va » prudent. Ça va, je survis, je fonctionne. J’arrive à travailler, j’arrive à passer du temps avec des ami-e-s. J’arrive même à en profiter assez régulièrement.
« ça va »
Ce n’est pas le même « ça va » qu’il y a dix mois ou un an, quand il sous-entendait « oui, oui, ça va les chevilles enflées, l’essoufflement et la peau de mon ventre qui n’arrête pas de s’étirer ». Un « ça va » face aux petits désagréments de la vie.
Ce n’est pas le même « ça va » qu’il y a huit mois. Encore moins. Ce « ça va » plein de sourire et de bonheur. Le « ça va » d’une nouvelle mère se réjouissant de ne pas trop souffrir du manque de sommeil. Le « ça va » qui voulait dire « oui, oui, ça va l’adaptation à cette réalité complètement nouvelle et surréaliste. OUI! Ça va avec notre bébé! »
Le « ça va » d’aujourd’hui, il veut dire
j’apprends à vivre avec mes sentiments d’échec
j’apprends à regarder les photos de Paul sans m’effondrer
j’apprends à vivre avec la jalousie
j’apprends à vivre avec l’incertitude
j’apprends à mettre en veilleuse mes émotions, quand il le faut
j’apprends à vivre sans mon bébé
j’apprends à aimer Paul en son absence
j’apprends à trouver du sens à lui écrire, à allumer une bougie pour lui
j’apprends à faire mon deuil
j’apprends à porter mon deuil
je t’aime, Paul.
Ça va. Ça va pas bien, mais je vais m’en sortir. ..
Merci pour ce beau texte.
C’est souvent ça que j’aurais envie de répondre. Ça va pas mais ça va aller…
I just wrote something along a similar vein! About how grieving, whilst everyone essentially ignores that I’m grieving, makes me feel insane! I feel I contribute to it also…., by looking put together, putting on my mask (that I feel obligated to wear), doing mundane day to day things that must be done. But, just below the surface, taking up my entire being, is a screaming, horror-filled grief that will not go away. Sometimes I want it to spout off and out of myself, and to acknowledge it publicly so that I feel less crazy. Sometimes I want to « make a scene », force others to see what is really going on in me.
And, yes, « okay » can have such different meanings. I agree. And the bereaved mother « okay » is so hard to articulate to those who have no idea.
The things you are learning to live with are so, so difficult. It feels the complete opposite of what you’d be learning with Paul here.
I hadn’t received a notification from your post yet (i think the email might get sent at midnight?) but i just read it and indeed, this is all sometimes surreal. Going through the motions of normal life while leading an entirely different inner-life…
ugh, yes! the « okay » that has has so many faces. I wish i could respond simply, as you put it, « i’m learning to live without my baby. »
Perhaps it is « okay » to do so, and to accept the uncomfortable feeling that will ensue.
So much information hidden behind such a short expression.
Like Gretchen, I feel like I’m contributing to the invisibility. It would be nice if people recognized that, almost a year out, this still isn’t easy. But there are other days when I prefer hiding the complicated truth.
I do too. Being able to function, in and of itself, contributes to the invisibility.. But i have to say i am very fortunate to be surrounded by several people who recognize it is still difficult after 7 months.