Je tisse mes fils à partir de rien, j’assemble, j’interprète, je borde ce rien avec la volonté sauvage de sauver le passé. Ce récit est une toile pleine de trous dans laquelle j’essaie de capturer ma mère, je voudrais qu’elle n’ait plus de secrets pour nous. Elle me résiste pourtant, comme pour dire, N’essaie pas de m’immobiliser, tu n’y arriveras pas. Et je vois se dessiner, noir sur blanc, les contours de mon échec. Je sais que je suis empêtrée dans ma propre fiction. Ma mère est devenue un personnage de roman, et mon grand-père, ma grand-mère, ma tante. Me voilà devant une réalité de plus en plus vacillante. »
— Louise Dupré, L’Album multicolore, p.59
Louise Dupré a eu plus de soixante ans pour connaître sa mère et malgré cela, elle peine à réunir les souvenirs et les faits qui lui permettraient de rendre compte de la vie de cette femme, de leur relation qui s’est étendue sur des décennies. C’est peut-être peine perdue. Peut-être ne connaît-on jamais vraiment ses parents?
J’ai certainement l’impression de n’avoir pas connu ma mère. Pas suffisamment. Pas assez longtemps, pas assez profond, pas assez vrai. Ça ne sert peut-être pas à grand-chose de m’y attarder, mais si je pouvais revenir en arrière, ou donner un conseil à la fille de douze ans que j’ai été, je voudrais poser mille questions à ma mère. Je sais que c’est vain. La fille de douze ans que j’étais était dépassée par les événements, incapable de vivre pleinement les émotions multiples et contradictoires qui l’habitaient.
Et mes questions de maintenant, ce sont celles qui se sont doucement construites dans mon esprit qui a grandi, celles qui se sont accumulées à mesure que l’absence grandissait. Ce sont les questions qui se sont imposées au fil des années, pas celles que j’aurais su poser alors. Ce ne sont pas des questions qui m’habitaient à l’aube de l’adolescence, à la recherche de mon indépendance. Ce sont celles qui appellent les réponses que je perçois comme les fibres manquantes pour me connecter à l’étoffe familiale, à là d’où je viens.
Au cours des derniers mois, pendant que j’attendais Paul, j’ai beaucoup pensé à mes parents, à la façon dont je pourrais les faire vivre dans l’esprit de mon enfant, alors qu’il grandirait. La mort de Paul, l’expérience du deuil me fait (re)vivre le deuil de mes parents. Vivre sans mon fils me place face à un vécu qui calque un petit peu celui de mes grand-mères, m’oblige à faire face, plus que jamais, à l’espace intergénérationnel béant qui m’entoure.
Je cherche encore comment faire. J’ai repris un projet entamé il y a quelques années. Creuser le passé. Poser les questions à celles et ceux qui portent dans leur esprit des petits bouts de l’histoire de mes parents. Apprendre, au détour d’un courriel, qu’elle faisait des consultations médicales et de planning familial dans une prison pour femmes. Sentir en moi monter des émotions intenses. De la fierté peut-être, l’impression de continuité entre celle qu’elle a été et celle que je veux être. Et la douleur immense de ne pas avoir su. De dépendre des autres pour sonder mon passé.
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Je reprends. Doucement. Je revisite mes souvenirs…
J’ai tellement oublié. J’ai peu de souvenirs de l’année qui a précédé la mort de Christine. Peu de souvenirs des derniers jours, il y a quatorze ans.
Des éclats de la lumière de fin d’été à travers les arbres. Le gravier sous nos pas.
La balançoire devant la maison Michel-Sarrazin.
L’homme au masque de fer. Le film qu’on a regardé, le dernier soir. Avec mon frère et ma cousine. Sans réaliser alors que la fin était si proche.
La lumière, encore. La lumière magnifique du matin qui s’est levé. Les rayons du soleil dans la pièce vitrée où la famille s’était rassemblée.
Je me souviens fermement de la volonté de Christine qu’on ne se souvienne pas d’elle malade. Elle voulait qu’on oublie le cancer et qu’on se rappelle d’elle en forme. Heureuse.
Je voudrais me souvenir de tout. Du beau et du dur. Mais j’ai beaucoup oublié. C’est ce que j’ai réussi à faire alors, pour arriver à fonctionner.
Elle voulait qu’on se rappelle d’elle en forme. Dans la montagne. Je ne sais pas si c’est elle, ou Jacques, qui a peint cette image dans mon esprit. Ou si c’est simplement l’image que j’ai associée à cette demande. Je la vois, dans un sentier à pic, entourée d’arbres. Bien. Je me cherche autour d’elle. Je me cherche en elle. Je veux imaginer Paul et Christine ensemble mais ça implique trop de « si seulement ». Alors je continue d’étudier les photos d’elle prenant soin de moi comme j’ai pris soin de Paul, comme j’aurais voulu prendre soin de Paul. Je me tourne vers elle pour continue d’apprendre comment faire.
la faire vivre. le faire vivre.
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pour Christine
mamie du petit marcassin
maman à l’aventure
1951-2000
Typhaine,
First I must say that the resemblance between your mother and you and Paul is striking. What a beautiful « gift » in the face of such tragic circumstances.
I feel your pain at not having had the opportunity to know your mother in all stages of life. And I can only imagine how many times and instances you thought – I wish I could ask my mother this, get her perspective, now. To lose her at such a tender time in life, it’s just awful. That must have left you with many, many scars. You must have grown up entirely too fast, and with gaps of hoped-for motherly instinct and advice. And, I am very sorry that your story of loss does not end with your mother’s death. It is horribly unfair.
I like the image you conjure up of your mother and Paul, in nature, together. It is so evident how dear their memories are to you.
Yes. There were especially instances when i would have wanted her point of view as i was getting ready to become a mother myself…
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