je suis une mère féministe

Ces réflexions sont inspirées entre autres par des thèmes proposés par le projet capture your grief — explore & express. Plutôt que d’explorer où j’en suis dans mon cheminement de deuil, je part du stade où je suis rendue, quel qu’il soit, pour tenter d’exprimer un aspect plus politique de mon expérience comme mère.

Depuis quelques années déjà, je m’intéresse à différents aspects de la maternité, du maternage, de l’éducation des enfants. Au début de mon bacc (en études féministes), je me suis retrouvée l’une des seules étudiantes sans enfant à m’inscrire au cours Images of motherhood. À ce moment-là, je réfléchissais en termes assez détachés de la possibilité d’être une mère féministe, éventuellement.

Dans une tentative d’anglais académique, probablement un peu à travers mon chapeau, mais m’appuyant sur mes féministes préférées du moment, j’écrivais des trucs comme :

Establishing a new, less oppressive, model of mothering demands the end of the fantasies of ideal mothers and super-moms. It requires mothers to acknowledge more openly their strength as adequate loving parents while admitting the challenges of this difficult role. In the spirit of feminist consciousness-raising group, mothers need to share their experiences and build solidarity among themselves and with other members of society (notably, fathers). This type of collective approach can lead the way to unveiling the common difficulties faced by mothers, allowing to develop effective solutions to these problems.

En 2012, pendant la grève étudiante et le mouvement social plus large qui a suivi, j’ai été touchée par les Mères en colère et solidaires. Elles me rejoignaient dans leur prise de position ferme contre la hausse de droits de scolarité mais surtout dans “leur indignation face à la violence gouvernementale et institutionnelle dirigée envers les étudiantEs, qui sont aussi nos enfants !” (comme elles l’exprimaient elles-mêmes dans un appel à manifester). J’avais senti une pointe d’envie en voyant la photo d’une femme enceinte, un carré rouge en évidence sur le ventre et un message que je paraphrase : « Chez nous, tout le monde est contre la hausse ».

À ce moment là, l’idée de devenir mère n’était plus reléguée à un futur lointain. Je m’imaginais, bientôt, rejoindre les rangs des parents qui poussent des poussettes dans les manifs. C’est cette image banale et idéalisée qui illustrait l’idée que je me faisait de l’intersection entre maternité, militance et solidarité.

Aujourd’hui, près de dix mois après la naissance de Paul, neuf mois après sa mort, je n’ai pas vraiment ma place dans les contingents-poussettes, même si je m’y suis récemment invitée. Au quotidien, mon sentiment de solidarité avec les parents et les mères d’ici et d’ailleurs a pris des formes que je n’aurais pas soupçonnées.

Je me sens solidaire des parents dont le vécu ressemble au mien — celles et ceux qui ont perdu des bébés, avant ou après la naissance.
Je me sens solidaire des parents dont les enfants meurent, peu importe le contexte.

Je ne lis plus l’histoire du garçon du garçon de 15 ans tué par balle à New Orleans comme je l’aurais lu avant. Son vécu individuel, la violence systémique, le racisme s’entremêlent dans ma tête avec le désespoir qui a dû assaillir ses parents. Je n’entends plus de bulletin de nouvelles sans imaginer la douleur immense qui accompagne toutes ces morts anonymes, à Ferguson, en Syrie ou en Afrique de l’est.

Je m’étais fait une idée de ce que voulait dire être une mère féministe.
Une idée qui ne ressemble pas à la réalité que je vis.

Je m’étais imaginé créer des espaces de discussions avec d’autres mères, d’autres parents. Dans la réalité, je suis souvent mal à l’aise de participer à ces discussions, de peur de ne pas avoir la légitimité suffisante pour le faire. Je m’étais imaginé devenir experte dans l’art d’allaiter au milieu d’une réunion. Dans la réalité, je continue d’éviter certains contextes où je risquerais d’être en présence de bébés. Dans la réalité, voir d’autres femmes allaiter m’emplit encore parfois de tristesse mêlée d’envie.

Je m’étais fait une idée de ce que voulait dire être une mère féministe.
Une idée qui ne ressemble pas à la réalité que je vis.
Mais je suis une mère. Et je suis féministe.
Je suis une mère féministe.

Une réflexion au sujet de « je suis une mère féministe »

  1. J’ai toujours pensé que je n’étais pas féministe, jusqu’à tout récemment. En commençant mes cours d’accompagnante à la naissance j’ai réalisé que je ne savais pas ce qu’était le féminisme.. Un peu triste à 36 ans. Aujourd’hui je sais que je le suis.

    Tu retrouveras bientôt ce sentiment de légitimités auquel tu as droit.

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