perdre/prendre pied

Il y a quelques semaines, j’ai senti monter en moi une impression inquiétante. L’impression de perdre le peu de contrôle que j’avais réussi à reprendre sur ma vie au cours des derniers mois. J’ai senti la peine peine enfler en moi, emplir chaque recoin de mon être avec une force que je croyais avoir maitrisée grâce au cheminement accompli depuis la mort de Paul.

Je me suis sentie replonger dans le désespoir que j’avais découvert en mars dernier, alors que je prenais plus pleinement conscience de l’énormité de la perte qui nous était tombée dessus. Je n’arrive pas à trouver les mots qui décriraient avec exactitude ce sentiment. Une impression d’asphyxier peut-être? Une asphyxie implacable, mais lente, presque douce. Comme se noyer dans de l’eau glacée, une anesthésie fatale mais presque attirante, qui invite à se laisser aller. Pourquoi combattre? Pourquoi ne pas se laisser sombrer dans cette peine?

Le train-train quotidien s’est mis à me peser. Chaque jour, l’effort de faire face au monde, aux heures de travail, me semblait insurmontable. Les irritants mineurs du quotidien me semblaient être le produit d’une conspiration destinée à m’enfoncer encore plus profondément dans la peine. Pour la première fois depuis que j’ai été engagée il y a quatre ans, j’ai eu envie de démissionner. Envie de simplement laisser tomber, ne pas aller au travail une journée, puis le lendemain, sans dire aurevoir.

Une part de moi m’a retenu, m’a tiré du lit chaque matin (ou presque), m’a poussé à aller m’asseoir derrière mon écran, à entamer une tâche, puis la suivante. Puis un mardi matin, le courant a été coupé pendant quelques heures. Nous avions été prévenus, ce n’était même pas une surprise. À cause d’une confusion dans nos discussions de la veille, je me suis rendue au travail alors que mes collègues avaient prévu autre chose. En comprenant que je devrais soit rentrer à pied à la maison, soit attendre deux heures à mon bureau pour que le courant revienne, j’ai eu envie de m’effondrer.

J’essayais de me raisonner. Je me répétais que ce n’était rien de grave, qu’après quelques heures tout reviendrait à la normale. Je me répétais que la panne d’électricité n’était pas vouée à me faire perdre ma journée, que je pouvais en profiter pour me reposer ou faire une activité. Mais ces mots que j’aurais servi à une amie angoissée ne parvenaient pas à me calmer. Après avoir envisagé d’arrêter voir ma cousine qui habite près de mon travail, j’ai marché jusqu’à la maison en retenant mes larmes, en contrôlant ma respiration. En arrivant, je me suis affalée, j’ai pleuré, puis, j’ai fermé les yeux pour essayer de me calmer, et éventuellement me reposer. Je me sentais tellement mal mais absolument incapable de me mettre en action pour me sentir mieux.

Le téléphone m’a tirée de ces pensées circulaires. C’était ma cousine, que j’avais tenté d’appeler pour voir si je pouvais passer chez elle. Je ne crois pas lui avoir dit à quel point j’avais besoin qu’on me dise quoi faire, je ne sais pas si j’avais saisi cela moi-même. Elle l’a compris avant moi, je pense. Elle m’a dit de me lever, d’aller consulter quelqu’un-e, là, tout de suite. Un peu comme une automate, j’ai pris les clefs de la voiture, j’ai traversé le quartier et je suis allée au CLSC. J’ai rencontré une travailleuse sociale à qui j’ai dit que j’avais besoin qu’elle me dise quoi faire. Elle m’a répondu de rentrer chez moi, de me reposer, et de ne faire qu’une seule autre chose ce jour-là, me donner le temps de prendre rendez-vous avec un-e psychologue — ce que je me promettais de faire depuis un moment.

Même si je n’étais pas complètement convaincue, je suis rentrée à la maison et j’ai appelé une psy spécialisée en deuil et périnatalité que l’on m’avait recommandée. J’ai oublié un instant ma peur de tomber sur une personne que je n’aimerais pas ou qui ne répondrait pas à mes besoins, j’ai ouvert cette porte inconnue et j’ai franchi le pas.

Ce matin, je me suis sentie en paix en poussant la porte du bureau pour mon deuxième rendez-vous.
Comme si le fait d’avoir fait les premiers pas dans une nouvelle direction m’avait permis de reprendre pied dans la réalité, de recommencer à faire face à la peine sans vouloir m’y noyer.

3 réflexions au sujet de « perdre/prendre pied »

  1. You and I seem to be so closely in-tune. I have been very, very low lately. Battling debilitating headaches brought on by my sorrow and anger and anxiety about what to do with it, since nothing will bring Zachary back. My first attempt to find a counselor a few weeks ago failed – he is not in my health plan. I am going to try again, and you have inspired me to keep after this. I cannot stop caring for myself despite the fact that I often feel unable.

    I hope you have found someone who is actually helpful. Thinking of you and Paul.

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