p(l)eurs

Paul,

Il y a des jours où je sens que la vie a repris son cours presque normalement. Je fonctionne comme avant. Le poids de ton absence ne disparait pas pour autant mais la charge est supportable. J’arrive à naviguer dans le quotidien, en parlant de toi, en pensant à toi souvent, mais avec un certain détachement, je doit l’admettre. Par moments, je sens que ton absence fait partie de ma vie, tout simplement. Comme si je m’étais résolue à ce qu’elle soit dans l’ordre des choses. Comment faire autrement? La révolte permanente contre la réalité est trop épuisante, j’imagine.

Mais même si je le fais taire, ce fond de révolte m’habite toujours, menaçant de fomenter un coup contre mon État intérieur trop calme. Le tumulte grandit en moi, parfois sans que je me rende compte, et finit par déborder par le coin de mes yeux rougis, à travers ma gorge enrouée, les commissures de mes lèvres, mon nez débordant. Mon corps se révolte et se révulse, m’obligeant à prendre le temps, à faire l’effort de tenter de comprendre ce qui m’habite.

La liste de tout ce qui me fait réagir, de tout ce qui met en évidence ton absence gigantesque s’allonge et s’allonge jusqu’à m’emporter dans les pleurs.

Les vêtements que j’ai pliés cette semaine, que j’ai rangés dans les petits bacs que j’avais préparé pour toi. Ces vêtements offerts et récupérés en attendant ton arrivée, puis rangés quand tu es parti. Je les ai ressortis des boîtes. Je les ai classés en prévision de l’arrivée de ton petit frère ou de ta petite sœur. Je n’ai pas trouvé de meilleure solution que de les réutiliser, comme je l’aurais fait si tu avais été encore là. Je sais que j’aurais voulu que tu partages tes vêtements, tes jouets, ta chambre, éventuellement. J’avais d’ailleurs rangé certains de ces vêtements, qui avaient eu le temps de devenir trop petits pour toi, dans une boite « pour bébé 2 ».

Nous avons mis de côté quelques objets à toi, qui ne resserviront pas, mais la plupart des choses que tu as utilisées pendant les quatre semaines de ta vie étaient plutôt utilitaires, elles étaient tiennes dans la mesure où elles servaient à te couvrir, à te réchauffer mais tu n’as pas eu le temps de t’y attacher. Ni moi non plus. Et pourtant, aujourd’hui, ces choses me font mal. Comme la chambre que tu aurais occupée éventuellement mais dans laquelle tu n’as jamais dormi.

Les journées qui passent. Les 4 du mois qui s’accumulent. Tu aurais eu 15 mois hier. Ça m’abime de ne pas savoir à quoi tu ressemblerais, ce que tu pourrais faire, ce que tu aimerais. Ça me tue de ne pas connaître celui que tu serais devenu. Les bébés qui n’existaient pas encore quand tu es décédé continuent de grandir. Certains d’entre eux auront bientôt un an. Tous sont plus vieux que tu n’as jamais été, maintenant.

Sauf ta cousine que tu ne connaitra pas. Elle est encore toute petite. Je suis tellement heureuse pour ses parents, heureuse qu’elle existe. Elle aussi j’ai hâte de la connaître, de découvrir qui elle est, qui elle deviendra. Je l’aime déjà et pourtant, je ne peux m’empêcher d’être triste en réalisant que dans quelques semaines seulement, elle aussi joindra les rangs de ceux et celles qui ont vécu plus longtemps que toi. Je suis déchirée entre mon envie de profiter de sa présence, de lui offrir plein d’amour, et la tristesse indescriptible de savoir que je ne revivrai jamais ces moments de découverte avec toi.

Ta présence me manque, Paul. Ton odeur, tes pleurs, ta peau tellement douce. Tes pieds, tes mains. La forme parfaite de tes lèvres. Ton abandon dans mes bras. Tes moments de sommeil, tes moments d’éveil. Je voudrais tout redécouvrir, tout revivre encore et encore.

J’ai hâte d’accueillir ton petit frère ou ta petite sœur. Au-delà de ma hâte d’en finir avec ces mois de grossesse qui me ralentissent et m’épuisent, j’ai hâte de revivre ces moments intense d’exploration et de reconnaissance. J’ai hâte d’allaiter, de bercer, de baigner, de consoler, d’admirer ce petit être qui pousse en moi.

Mais j’ai peur aussi. Peur de trahir ton souvenir, peur de ne pas m’attacher, ou de trop m’attacher et de trop t’oublier. J’ai peur des 28 premiers jours, peur de les comparer avec les seuls jours que nous avons connu ensemble. J’ai peur du 29e jour aussi, et du 30e. J’ai peur de découvrir ce que je n’ai pas connu avec toi et que je m’efforce d’ignorer depuis ta mort. J’ai peur de tout ça et peur aussi de ne pas en arriver là, qu’il arrive quelque chose d’improbable à bébé-lentille, que la tragédie s’invite à nouveau dans nos vies.

Tu vois, moi qui voulais t’offrir un environnement plein de confiance et d’amour, moi qui voulais plus que tout que tu te sentes en sécurité en te gardant près de moi, je suis remplie de peurs.

Pour aujourd’hui, je vais me contenter d’accueillir ces peurs et ces pleurs que je ne sais contenir. Je vais accepter de vivre les sentiments qui m’habitent avec violence et que je n’arrive pas à contrôler : tu me manque Paul.

Profondément, viscéralement.

je t’aime (pour) toujours.

Photo 2014-01-21 13 08 42

petit marcassin rêveur…

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