Ça fait un moment que je me questionne sur le lien d’attachement qui existe entre Malou et moi. Est-ce qu’il est assez fort? Est-ce qu’il est aussi fort que le lien que j’avais avec Aimé au même âge? Est-ce que mon amour est aussi profond que celui que j’ai eu pour Paul dès sa naissance? Quand je parle avec Aimé et que je m’émerveille d’avoir accès à toutes les idées qu’il verbalise, à son imaginaire foisonnant, j’oublie parfois que ces discussions sont récentes et que le lien qui m’unit maintenant si profondément n’est pas nouveau, mais simplement renouvelé, transformé.
Quand j’étais enceinte d’Aimé, puis quand il est né, je me suis dit et redit que la relation que je construirais avec ce petit être serait forcément différente de celle que j’avais avec son frère. Je me suis convaincue que le coup de foudre dès les premiers instants n’est pas la seule façon d’aimer un enfant, que l’amour peut avoir des balbutiements plus timides aussi. Je continue de croire tout ça et d’en parler. On a besoin de se faire rassurer, parfois, comme parent qui s’inquiète de ne pas ressentir assez d’amour dès les premières minutes de la vie de son bébé.
À la limite, c’est plutôt le scénario du coup de foudre que l’on pourrait voir comme étant suspect. Un nouveau-né, une nouvelle-née, c’est tellement ahurissant. Un nouvel humain. Comment ne pas être étourdie par la simple pensée d’avoir fait pousser une personne entière — et toutes les promesses que cela implique — à l’intérieur de soi? Et puis il y a quelque chose d’immensément violent à être soudain séparée de celui ou celle qui nous habitait, qui était en nous, qui était nous. Sans compter le choc de la naissance elle-même. N’ayant connu que la rupture tranchante de la césarienne, j’ai jalousé les naissances en douceur que d’autres peuvent avoir, mais il n’en demeure pas moins que toute naissance implique une séparation. On doit alors faire connaissance avec un être tout neuf dans un contexte parfois difficile.
Malou et moi avons eu des moments de douceur à sa naissance. J’ai pu l’embrasser alors que j’étais encore sur la table d’opération; j’ai pu lui murmurer des je t’aime; j’ai pu l’allaiter longuement en salle de réveil. Mais nous avons aussi dû composer avec notre lot de contraintes et de moments de séparation que j’aurais souhaité nous éviter. Après la première tétée que nous avons étirée aussi longtemps que possible, Malou a été placée sous observation à la pouponnière avant d’être transférée le lendemain à l’unité néonatale. Je n’ai pas pu dormir avec ma fille pendant près de deux semaines, même si j’ai pu rester à l’hôpital pendant les treize nuits où elle a été hospitalisée.
J’avais rêvé de passer ces premiers jours au lit avec elle, à la découvrir et à la nourrir. À la place, nous avons fait connaissance à travers le bruit des machines et des conversations entre infirmières. Je l’ai allaitée sur des fauteuils plus ou moins confortables, m’accrochant dans les fils des capteurs et dans le tube d’oxygène, souvent sous l’œil — bienveillant mais quand même — des infirmières se succédant pour prendre soin d’elle. Même à notre retour à la maison, même quand Aimé, avec son énergie débordante, partait avec Patrice le temps d’une baignade ou d’un tour de vélo, nous n’étions jamais seules. Jamais seules et jamais en silence avec le concentrateur d’oxygène qui ronronnait dans la maison.
Alors que j’écrivais hier soir, Malou était couchée contre moi, sans fil, dans le noir et le calme de la maison d’ami.e.s de ma belle-mère. Une superbe maison dans un coin de pays magnifique, juste assez loin de la ville pour que le fleuve porte l’odeur du large. Hier après-midi, nous sommes allées voir les vagues et sentir le vent frais. En tête-à-tête. En ventre-à-ventre. Nous nous découvrons encore, Malou et moi. Ce matin, elle dort sur moi, sa chaleur et sa respiration accompagnent mes pensées.
Le lien qui nous unit grandit. On prend le temps de passer des heures à se coller, on prend le temps de s’attacher. Je nous imagine dans deux ans, dans dix ans, dans vingt ans. J’entrevois la relation que j’espère bâtir avec elle à long terme.
Entre temps, quand je prends Malou et qu’elle arrête de pleurer presque instantanément, quand je sens son corps se relâcher complètement quand elle s’abandonne au sommeil dans mes bras, je me rappelle que le lien qui nous unit n’est pas un sens unique. Malou me fait chaque jour le cadeau de la confiance et me rappelle d’avoir confiance moi aussi. Elle m’invite à profiter des moments de douceur et de beauté qui me sont offerts.
J’essaie de l’écouter.
Le fleuve dans Charlevoix, encore plus beau avec Malou au premier plan.