Patrice me tend son téléphone et m’annonce en souriant : « Elle est prête au combat ». Sur l’écran, une photo de Malou, un poing refermé levé près de sa tête. Comme une bébé révolutionnaire. Ça devrait me faire sourire aussi, mais des larmes m’échappent alors que je dépose le téléphone sur la table.
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Avec un bébé de quelques semaines, on se fait souvent demander comment ça va. C’est d’autant plus le cas après avoir passé près de deux semaines à l’hôpital avec ce bébé.
Depuis notre sortie de l’hôpital, je réponds à peu près toujours la même chose : ça va bien. Malou est un bébé tranquille, elle dort beaucoup et ses pleurs se terminent presque toujours quand je l’allaite. Elle adore se reposer sur nous mais commence à avoir des périodes d’éveil plus longues qui nous permettent d’interagir de plus en plus. Elle boit, elle dort, elle salit beaucoup de couches. Ça va bien.
Notre principale difficulté est d’ordre logistique puisqu’on doit organiser nos activités (même monter ou descendre l’escalier dans la maison) autour du tube qui l’alimente en oxygène. Il faut mesurer nos distances, constamment revenir sur nos pas pour décoincer un bout du fil qui s’est accroché, replacer des dizaines de fois par jour la « lunette » qui sort du nez de Malou, se munir d’une bonbonne d’oxygène pour sortir au-delà d’un rayon de quelques mètres dans la cour…
On peine aussi parfois à arrimer les besoins de Malou avec ceux d’Aimé — personne n’avait cru bon me prévenir qu’un enfant de trois ans peut être plus demandant qu’un petit bébé! Surtout en fin de soirée. Surtout quand il doit s’adapter à un chamboulement aussi grand que l’arrivée d’une petite sœur dans sa vie.
Mais ces difficultés sont petites. Passagères. Le concentrateur d’oxygène ne suivra pas Malou éternellement. Aimé va s’adapter à tous ces changements. Et puis le tube d’oxygène ne l’empêche pas de prendre sa sœur dans ses bras avec amour, de nous aider à prendre soin d’elle ou d’insister pour s’endormir dans le lit tout près d’elle.
Quand je réponds que ça va bien, c’est vrai. Quand je décris les difficultés qu’on vit, c’est vrai aussi. Mais ce n’est pas toute l’histoire.
Ce que je ne discute pas sur le bord du trottoir ou en réponse à celles et ceux qui prennent des nouvelles par texto, ce sont toutes les peurs qui m’habitent.
La peur du jugement des autres.
La peur du mien aussi.
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Sur la photo de bébé révolutionnaire, Malou louche, Je sais que presque tous les bébés de quelques semaines louchent par moments. Paul et Aimé le faisaient aussi. Ça ne m’a pas inquiétée.
Et pourtant, voir cette photo de Malou me fait pleurer.
De peur.
De honte.
J’ai peur de montrer cette photo et qu’on la juge, peur qu’elle soit perçue d’emblée comme ayant des problèmes. J’ai honte de ne pas voir simplement ma fille sans être encombrée de toutes ces inquiétudes. J’ai peur que les autres personnes qui la regardent ne voient que la trisomie au lieu de voir Malou.
Patrice m’assure qu’il ne partagera pas la photo. Au lieu de me sentir rassurée, je me sens atterrée par la tristesse et la honte.
Écrire ces mots me fait pleurer. J’ai de la difficulté à articuler tout cela, à l’admettre, à me l’admettre. J’ai peur.
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Quand Malou avait à peine deux jours, je me suis retrouvée seule avec elle pour la première fois. J’étais entourée d’un rideau, dans une grande salle de l’unité néonatale. Nous étions seules uniquement dans ce petit cocon temporaire. Au-delà du rideau, des bébés, des infirmières, des machines, des alarmes.
Dans ces premiers moments de relative tranquillité, en examinant Malou, j’ai vu la trisomie, j’ai vu cette réalité à laquelle nous avions tenté de nous préparer au cours des mois, depuis l’annonce des résultats du test de dépistage. Comme devant une de ces images qui laissent apparaitre une illustration cachée quand on arrive à faire le focus au-delà de la page, pendant quelques minutes, j’ai eu de la difficulté à voir Malou.
Éventuellement, j’ai réussi à réussi à ajuster mon œil. La trisomie est là. Je n’ai pas envie d’en faire abstraction. Je sais que ça aura un impact important dans la vie de Malou et dans les nôtres. Mais simultanément, je peux voir dans le visage de Malou les traits qu’elle partage avec ses grands frères, avec Patrice, avec moi. Je peux découvrir, chaque jour un peu plus, ce qu’elle a d’unique.
La peur reste.
La peur du jugement des autres.
La peur du mien aussi.
Je veux continuer à confronter mes peurs en rencontrant des gens, en lisant (ce texte, par exemple), en écrivant. Et entre temps, je veux profiter de ces moments si doux où Aimé prend soin de sa petite sœur, ces moments où Malou ouvre ses yeux et nous découvre, ces moments où elle s’abandonne dans mes bras après la tétée.
Bonjour Maman,
Il y a tellement du beau dans ce texte…
Ce que j’en retiens est que nous devons voir le monde comme les enfants, comme Aimé…
Aimé voit sa soeur, sans jugement, sans discrimination et préjugés. Il est impossible de changer ce que voient les autres à travers leur »préjugés ». On ne peut que décider nous-même de VOIR, telle qu’elle est, une jolie petite fille transformer vos vies, et la nôtre aussi si on le veut bien.
Beaucoup d’amour et de respect à votre famille.
Merci beaucoup de me partager cette perspective. C’est vrai que les enfants sont inspirants dans leur façon de voir la vie…
Tu es magnifique, tellement vraie et touchante, j’ai de la difficulté à écrire ces mots au travers de mes larmes. Je pense beaucoup à toi et j’espère avoir la chance de rencontrer Malou. Xxx
Merci Julie! J’aimerais beaucoup te la présenter. xxx