Boyhood

Dans les rencontres de groupes de soutien, je me présente comme « la maman de Paul ». C’est le remède que j’ai trouvé pour mettre un baume sur la peur panique qui a coulé en moi dès que j’ai commencé à saisir que nous n’allions pas rentrer de l’hôpital avec Paul. « Je ne serai plus sa mère ». Mes souvenirs de ces heures-là sont confus. Quelqu’un, quelqu’une probablement, m’a répondu que j’étais encore la fille de mes parents, et que j’allais rester la mère de mon fils. J’ai continué à demander à ce qu’on me rassure sur ce point, encore et encore. J’ai réussi à y croire. J’ai réussi à me glisser dans ce rôle bizarre de mère sans enfant.

Mais est-ce vraiment moi? Est-ce vraiment qui je suis? J’arrive de plus en plus mal à me replonger dans les souvenirs de moi comme nouvelle maman qui avait le luxe de redéfinir doucement mon identité. Je me rappelle avec de moins en mois qui j’étais quand le temps passé avec Paul était plus long que le temps passé sans lui. Chaque jour qui passe, chaque mois écoulé rend proportionnellement de plus en plus minuscule les vingt-huit jours de la vie de Paul, les vingt-cinq jours de nos vies partagées, sans le bruit des machines et la supervision des infirmière et les jaquettes jaunes et les masques et l’odeur d’alcool sur nos mains sèches.

Samedi, toute seule à la maison, j’ai regardé notre toute petite collection de vidéos de Paul. En tout, cinq courts extraits. Presque trois minutes qui captent la vie telle qu’elle a été, brièvement. Qui me ramènent en arrière qui me rappellent que je n’ai pas rêvé de tout cela, qui me reconnectent à ce qui a été, à ce qui est. Il y a quelque chose de magique à le voir bouger, à voir ses petits pieds s’activer, son visage changer.

Hier soir, pendant quelques heures, je me suis laissée emporter à suivre la vie d’un autre garçon, au grand écran cette fois, dans Boyhood. Un film magnifique, qui suit le parcours de Mason de la 1ere à la 12e année – l’école, la famille reconstituée / déconstruite, les explorations d’enfant et d’ado. Le film a été tourné sur douze ans, toujours avec les même acteurs et actrices. Les années défilent, témoins de changements parfois prononcés dans la vie des personnages. Mason, lui-même change énormément physiquement, évidemment. À mesure que le film avance pourtant, on voit aussi une continuité se dessiner dans son personnage. Celui qui était à six ans est toujours, même dix ans plus tard. Il se transforme sans changer vraiment. Mais cette continuité n’est décelable que dans l’existence qui se poursuit. En ne voyant que les extrait de sa première année scolaire, ou de sa première année de vie, il serait impossible de comprendre qui il est, ce qui restera face au temps qui s’écoule.

À un moment dans le film, Mason à 14 ou 15 ans, je crois, j’ai commencé à imaginer Paul dans les traits du garçon à l’écran. Pouvoir le connaître, le voir se transformer. Voir et sentir évoluer sa relation avec les autres, avec moi. Voir ce qu’il deviendrait, percevoir dans cela ce qui était déjà là, peut-être, au fond de lui, dès les premiers instants. Voir aussi, ce que moi je deviendrais, transformée par cette relation, transformée par la maternité et par le temps.

Devoir imaginer tout ça ne fait que raviver la douleur et me confronter à l’impossibilité de comprendre qui est Paul. Même en croyant qu’il était déjà qui allait devenir, impossible de le (re)connaître sans laisser le temps faire son œuvre. Et au finalement, je ne sais pas si je crois vraiment à cette vision de la vie. Je ne sais pas si je veux croire que je suis maintenant celle que j’ai toujours été. Je suis la maman de Paul, sans Paul. Je me sens transformée. Même si je ne sais pas encore en quoi. Ni pourquoi.

 

Rien, il ne me restait rien. Ce vide était terrible. Je n’avais pas eu d’enfant même pendant une heure. Obligée de tout imaginer. Immobile, j’imaginais.

— Marguerite Duras, L’horreur d’un pareil amour.

2 réflexions au sujet de « Boyhood »

  1. I like what you said about the continuity of the boy’s self. How that was only detectable because he continues to exist. For me, this is probably the most lamentable thing about Zachary’s death. Although I feel I knew him deeply, as his mother, I am only human…, I would have needed reminding of who he was, he would have continued to surprise me, over time, with things that « of course » were part of him. But, yes, he would have to exist now to do that. That hurts so deeply, doesn’t it?

    I love that you introduce yourself as « Paul’s mother » at support group meetings. It is good to have a safe place to do that, even as so many in real life are uncomfortable with it (or that is my experience).

    • It does hurt so much. I do not like when people use very definitive affirmations about who someone is. I usually feel that we change everyday, and that we have a capacity to transform deeply who we are. But as i face a lifetime of not being able to discover Paul, i can’t help but cling to the fact that i have known him, that i know him…

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