un cache-couche

décembre 2012. Je me prépare à partir visiter ma famille en France, juste après Noël. Depuis quelques jours, j’ai une impression un peu particulière, comme si un changement à peine perceptible s’était opéré en moi. Un mois plus tôt, P. et moi avons décidé de nous embarquer doucement dans le projet de fonder une famille. Pour une raison ou une autre, ça me semble peu probable que je sois enceinte aussi rapidement. Mais avec la date de mon départ qui approche, j’ai envie d’en avoir le cœur net.

Je passe un test, puis deux, mais je n’arrive pas à obtenir un résultat clair. En plissant les yeux, on voit  presque une deuxième petite ligne rose, mais ça n’a rien à voir avec le schéma que présente le mode d’emploi ou avec l’idée que j’ai d’un test de grossesse positif. Je décide donc d’aller au CLSC, croyant que je pourrai passer un test sanguin et obtenir une réponse plus définitive. Pendant que je patiente dans la salle d’attente, P. part faire des courses sur la rue Saint-Joseph. On décide de se retrouver après pour diner ensemble.

Une fois dans la salle de consultation, l’infirmière me propose de simplement passer un autre test urinaire dont elle pourra lire le résultat. Je suis un peu stressée alors que l’on regarde toutes les deux le petit bâtonnet de plastique posé devant nous changer de couleur. Je ne vois toujours pas grand chose de concluant apparaître et pourtant, l’infirmière m’assure, pleine de confiance que je suis enceinte.

Je quitte le CLSC dans un drôle d’état. Je ne sais toujours pas trop ce que c’est de se « sentir enceinte » mais je me sens certainement porteuse d’un secret, d’une promesse. Des flocons épais tombent sur la rue alors que je marche pour retrouver P. Il vient à ma rencontre et une fois qu’il est assez près, je lui glisse la bonne nouvelle à l’oreille. On marche ensemble, main dans la main. Je crois qu’on fait sans le vouloir le même sourire un peu idiot.

Soudain, il me propose d’aller l’attendre dans un café où nous pourrons manger pendant qu’il va faire une course vite fait. On se sépare donc quelques minutes, puis il vient me rejoindre. Comme on s’apprête à diner, P. me tend un petit paquet. C’est un cache-couche noir, acheté dans un magasin juste en face, qui parodie le design des Sex Pistols en affichant « Anarchy in the Pre-K ». Je ne sais pas trop pourquoi il a choisi ça. Ni P. ni moi sommes particulièrement fans des Sex Pistols. Pourtant, il y a quelque chose de presque magique dans ce petit vêtement. Tout de suite, devant notre soupe et notre sandwich, j’imagine notre petit ou notre petite, qui le portera un jour. Plus que le test au CLSC, c’est ce moment qui grave dans mon esprit la notion toute nouvelle de cette grossesse qui s’entame.

Pendant le voyage un peu laborieux vers la France — évidemment, notre départ tombe le jour de la tempête de neige du siècle, bloquant presque l’accès à l’aéroport, et retardant tous les vols qui n’ont pas été annulés — je choisis de ne rien dire à mon frère qui m’accompagne. La main subtilement posée sur le ventre, je savoure les instants, j’essaie d’imaginer le futur avec cette petite bête qui commence tout juste à pousser en moi…

À peine une semaine plus tard, à la veille de la nouvelle année, ma grossesse se termine abruptement par une fausse-couche. Je suis loin de P., loin de mes amies. Les semaines qui suivent sont difficiles. Maintenant que j’ai vécu cette première grossesse trop courte, je suis impatiente de retomber enceinte. Quelques mois plus tard, c’est chose faite.

Paul nait le 4 janvier 2014, un an presque jour pour après ma fausse-couche. Je me sens pleine de confiance face à cette nouvelle année, et face à l’existence de ce bébé. Et puis non, finalement. Le bonheur intense des premières semaines de la vie de Paul nous est arraché si vite. 2014 aura finalement été compliquée et remplie de promesses brisées.

Avant-hier, en faisant un peu de classement dans les vêtements d’Aimé — une activité à renouveler toutes les deux ou trois semaines si je veux réussir à soutenir son rythme de croissance un peu effréné — je décide de sortir le cache-couche des boîtes de rangement. Il a l’air encore un peu grand mais je suis souvent surprise par les vêtements qui deviennent trop petits si rapidement. Même si l’étiquette indique 12 mois, je décide de le faire essayer à Aimé. Et en effet, il le remplit presque déjà.

En le voyant comme ça, tout frais sorti du bain, tout doux dans ce vêtement un peu criard, ce tout premier vêtement qui nous accompagne depuis maintenant plus de deux ans et demi, je suis partagée entre la tristesse face à ce qu’on a perdu et le bonheur immense d’avoir Aimé avec nous.

 

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3 réflexions au sujet de « un cache-couche »

      • J’avais oublié de te répondre… Merci pour ton commentaire. Le beau et le triste mélangés… C’est beaucoup ça que je vis avec Aimé à travers les petits moments du quotidien (et les petites choses comme le cache-couche).

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