doutes

Aimé fait la sieste. Je lis à côté de lui, la main posée sur son avant-bras. Il respire doucement. Son sommeil calme est entrecoupé de petits mouvements brusques. Il a l’air de rêver. Quand ça fait quelques minutes qu’il n’a pas bougé ou grogné, immanquablement, je suis tirée de ma lecture par cette petite inquiétude qui ne me quitte pas. J’observe sa cage thoracique pour y repérer les mouvements délicats de sa respiration. Même chose la nuit, quand pour me rassurer, j’approche mes doigts de ses narines pour sentir le souffle chaud. Je vérifie, comme je le faisais quand il était encore dans mon ventre et que je m’allongeais pour le sentir bouger en moi. Chaque mouvement, chaque respiration me donne un répit, un sursis de quelques minutes.

Je ne me sens pas exactement angoissée. C’est plutôt que je n’ai plus la confiance que j’avais. Je ne crois plus a priori que tout va bien, que tout va bien aller. À chaque fois que je vérifie si Aimé va bien, une petite partie de moi se prépare au pire, et à chaque fois que je vois son ventre se gonfler d’air ou ses lèvres téter dans le vide, je me sens soulagée. L’autre jour, je mentionnais à une autre maman que j’avais hâte de pouvoir porter Aimé sur mon dos. Il commence déjà à se faire lourd dans le porte-bébé et j’imagine que ce sera un peu plus facile de le porter pour des plus longues périodes quand je pourrai l’installer en toute sécurité sur mon dos. J’ai lu à plusieurs endroits qu’il fallait attendre que le bébé atteigne six mois ou qu’il puisse se tenir la tête fermement et longtemps, alors je prends mon mal en patience. De son côté, elle porte sa fille depuis un moment sur son dos même si la petite ne répond pas encore à ces critères. Elle me dit que que là où elle a grandi, toutes les femmes portent leurs enfants sur le dos pratiquement dès la naissance et conclut en disant que c’est une question de confiance.

Elle a sûrement raison, mais voilà, je n’ai plus cette confiance. Pas pour le porte-bébé, pas pour me permettre de laisser Aimé faire sa sieste seul pendant que je vaque à mes occupations. Pas pour grand chose à vrai dire.

Je repense à l’insouciance qui m’habitait quand Paul n’avait que quelques jours et je doute encore de moi et de mes décisions. Je voulais bien faire, je voulais me faire confiance mais j’ai maintenant l’impression que je me suis trop fait confiance. J’ai cru, naïvement, que rien ne lui arriverait. J’ai cru que je trouverais ma façon de prendre soin de lui instinctivement. Ce jour-là, ça m’a semblé une bonne idée de l’allaiter alors qu’il était au chaud (trop chaud?) dans le porte-bébé, collé (trop collé?) contre moi. J’ai fait confiance. Je repasse encore souvent ces moments dans ma tête. Je regrette encore souvent de ne pas avoir vérifié plus vite comment Paul allait. Je sais que ça ne sert à rien maintenant, mais je continue de faire défiler ces images derrière mes paupières, les scrutant pour en extraire tous les moments où j’aurais dû faire autrement, tous ces petits instants qui me font douter.

C’est peut-être pour ça que je m’assure aussi souvent qu’Aimé va bien — qu’il est encore en vie. Pas parce que je crois que je peux empêcher un drame, pas parce que la peur m’envahit et m’y oblige, mais pour combattre le doute. Vainement, j’espère que si quelque chose arrive à Aimé, je n’aurai pas à douter de toutes les micro-décisions que j’ai prises. Si quelque chose arrive, je voudrais pouvoir être certaine d’avoir bien lu le mode d’emploi, d’avoir bien respecté les recommandations. J’aimerais ne pas douter autant.

Dans cette mare de doutes présents ou éventuels, je lutte pour faire une place à la confiance.
Et je continue de porter Aimé devant moi.

5 réflexions au sujet de « doutes »

  1. À petits pas de bébé… Il faut se respecter aussi. L’autre maman porte sur le dos, et c’est très bien pour elle, mais ça ne semble pas te convenir encore, et tu as le droit aussi. À chacun sa façon de faire les choses!

    • Oui. Je vais tout doucement. En même temps, je suis tellement contente de pouvoir le porter et être bien là-dedans (malgré le poids un peu intense de bébé-plus-une-lentille)… je n’étais pas certaine d’être capable émotivement. Et ça me donne une occasion de plus de regarder mon bébé…

      • Ouiiii! Et je repense à tes premiers billets quand Aimé est né, et tu as fait un chemin incroyable depuis! Tu avances à pas de géant, en fait!

  2. Le portage est fantastique… Même si ça n’a pas de rapport avec ton questionnement et ton cheminement de deuil, j’imagine que tu as du essayer de trouver d’autre port bebe, écharpes ou préformé etc qui te permettent de le porter peut être plus confortablement ?
    Et je suis d’accord avec toi, ma fille a 3 mois et je ne me vois pas la mettre dans le dos. Ne serais ce que parce que je ne peux pas la voir et elle non plus, ne peut pas voir les yeux.
    J’ai vu que le préformé de jpmbb a un petit miroir prévu pour pouvoir voir bebe, qui peut être porté très haut dans le dos grave a un coussin sous les fesses. Je sais pas ce que ça donne mais ça peut être utile quand vous serez prêt a ca

    • J’ai plusieurs porte-bébés sous la main alors ça me permet d’explorer ce qui est les plus confortable et rassurant. Et en effet, je crois que quand je serai rendue à porter au dos, je garderai un petit miroir dans ma poche…

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