fragments

Aujourd’hui, nous sommes allés visiter la tombe de mon grand-père au cimetière. Toutes ces tombes, que les gens fleurissent à ce moment de l’année, me rappellent l’importance de cet exercice de mémoire.

Ici, il y a un mode d’emploi : à la Toussaint, on visite ses morts, on dépose des cyclamens à leurs pieds.

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P. me dit que ma grand-mère est inquiète qu’on parle trop de Paul à Aimé, qu’il grandisse entouré de tristesse. Une part de moi se rebelle à cette idée : évidemment que je veux parler de Paul à son petit frère! En fait, je me rends compte qu’il m’arriver souvent d’imposer Paul comme sujet de conversation, comme présence dans l’univers mental des personnes qui m’entourent et qui auraient dû l’entourer.

Depuis notre arrivée en France la semaine dernière, je crois que chaque fois que le prénom de Paul a été évoqué, c’est parce que je l’ai prononcé. Parfois on me répond, mais autrement, je m’entête à le faire exister dans un monologue.

Aimé porte des vêtements qui avaient été offerts à Paul mais que Paul n’a jamais porté, et chaque morceau est une excuse pour dire le prénom de Paul, pour affirmer qu’il aurait dû être là.

J’ai besoin de parler de Paul.

Je sais que je vais parler de lui à Aimé. Je le fais déjà un petit peu, et j’ai l’intention de réitérer sa place dans notre famille chaque fois que je le souhaiterai, ou chaque fois que je le sentirai nécessaire.

Pourtant, une part de moi a peur que ma grand-mère ait raison et que je transmette à Aimé un trop gros morceau de la douleur qui m’habite. Elle a peut-être cette inquiétude parce qu’elle-même se sent envahie par la tristesse d’avoir perdu sa fille.

Les photos d’elle — ma mère — ornent les murs de ma grand-mère, rappel constant de son absence, déclenchant parfois mes pleurs. Elle aussi, aurait dû être là.

Je me demande si les photos de Paul et tous les rappels de sa vie que nous avons intégré à notre paysage, que j’ai inscrit à même mon corps, auront cet effet sur Aimé.

Il y a un bon moment déjà, j’écrivais que pendant que j’étais enceinte de Paul, j’avais réfléchi à la  manière de parler à Paul de ses grands-parents :

Je voulais que ce soit un souvenir doux et rassurant pour lui, qu’il les connaisse comme des personnes à part entière, qui l’auraient aimé assurément. Je voulais trouver un équilibre pour qu’il puisse avoir confiance en la vie, en la longévité qui l’attendait tout en évitant que leur absence dans sa vie ne soit trop normale — qu’il sache qu’ils auraient dû être là pour lui, pour nous.

Maintenant, je devrai aussi apprendre à parler de Paul à son petit frère, pour qu’il soit une présence bienveillante dans sa vie. Comme ses grands-parents qu’il ne connaitra pas.

Nous devrons apprendre à Aimé à visiter ces absent-e-s qui l’ont précédé.

Nous devrons lui apprendre à fleurir leur souvenir.

fleurpourPaul

une fleur pour Paul…

2 réflexions au sujet de « fragments »

  1. I hear what you are saying and of course, I have felt the same « concerns » by people who are close to us. I don’t intend to come across as knowing how it should be, or as giving my advice for you and P and Aime, so please take my experience with a grain of salt. And as one of many ways to think about how to cope…

    Like Aime, C.T. came after his (first) deceased brother B.W. The introduction of B.W.’s memory into C.T.’s life was as natural as any of the other things he learned as he grew. Like Aime, he wore the clothes which were intended for B.W. (though in our case, B.W. never wore them). He read the few books which were addressed to B.W. We mark birthdays and that perpetually missing person on all important occasions…, and we light a candle at dinner every night to acknowledge his absence. I think because we were/are persistent in these things, over time, there became an *ease* to them (well, until Zachary). An ease that can only be understood if you are an insider (unlike the outsider opinions and concerns you’ll get from people who do care, but don’t understand because they don’t regularly participate).

    And, on the point of being surrounded by sadness…, certainly, there will be sorrow for Paul, as he discovers, at every age, what it means to live without the brother he never knew. Sometimes, it will make him sad, and other times, it will be cloaked in pure mystery and imagination. That doesn’t mean he won’t have happiness or won’t experience joy or meaning. Outsiders won’t get to see beyond the sorrow part because for them, sorrow is the only thing that is triggered when they think of our deceased children.

    Sorrow – the unfair, deep and lasting kind – is a mostly universal experience which many people are shocked to learn sometime in adulthood when some tragedy befalls them. I wish my surviving son didn’t have to know such sorrow, twice-over in the loss of his brothers, at such a young age. But, since we must go on and because I want C.T. to live a full and honest and meaningful life, I must believe that sorrow isn’t inherently bad, that it is better to share out sorrow (and all that goes with it) than to try to submerge it.

    Safe travels, my friend…

    • Thank you for sharing your thoughts and experience (though i am so sorry you have such an extensive experience on this topic). I think the goal of helping our children to lead « full and honest and meaningful » lives is worthy of dealing with sadness and sorrow. Death is part of all of our lives eventually so i hope that for Aimé, learning earlier about it will not mean feeling overwhelmed by it but learning how to cope with loss as best as he/we can…
      Holding B.W. and Zachary in my thoughts tonight…

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