Paul aurait eu quatre ans la semaine dernière. Je l’imagine difficilement.
Pourtant, je suis forcée de mesurer la distance qui me sépare de la naissance de Paul. Plus encore, je constate le chemin parcouru depuis le premier anniversaire de Paul que nous avons dû souligner sans lui. Je me rappelle de l’angoisse à l’approche de ce jour, de mon inquiétude de ne pas réussir à souligner cette journée d’une manière qui rende compte du manque immense qui nous habitait.
Il y a trois ans, nous avons improvisé, comme nous avions improvisé toute l’année auparavant. À force d’improvisation, ont émergé des images qui nous rejoignent, des gestes qui ont du sens, qui font sens pour nous, pour moi.
la mer, les lettres P.A.U.L. tracées dans le sable, la neige ou la porte embuée de la douche, les arbres, la flamme d’une chandelle ou un feu en plein air, l’étoile polaire…
Les symboles qui marquent les journées importantes dans la chronologie de Paul ne changent que très peu, et pourtant, je constate que mes attentes par rapport à ces journées ne sont plus les mêmes.
Cette année, comme nous sommes en vacances dans ma famille en France, nous avions prévu passer l’anniversaire de Paul au bord de la mer. Nous avons parcouru la centaine de kilomètres vers notre destination sous la pluie et le vent. Le temps chagrin nous a suivi toute la journée.
Après une première promenade et un diner sur le pouce, nous avons décidé de trouver une plage pour écrire le prénom de Paul dans le sable. J’étais tellement fatiguée par le voyage et les nuits écourtées par Aimé qui n’a pas trop apprécié le décalage horaire que j’ai pris quelques minutes pour dormir dans l’auto pendant que Patrice amenait Aimé au bord de l’eau. Me décidant enfin à aller les rejoindre, j’ai à peine eu le temps d’atteindre la plage que j’ai vu Aimé tomber alors qu’une vague remontait sur le sable, le mouillant du même coup jusqu’à la taille. Constatant ses bottes de caoutchouc remplies d’eau, j’ai photographié les lettres tracées par Patrice et Aimé en vitesse avant de devoir retraiter vers la voiture pour changer Aimé. Le temps d’aller lui acheter une paire de pantoufles pour qu’il puisse avoir les pieds au sec (parce que nous avions cru à tort qu’une paire de botte suffirait pour la journée), la marée était trop haute pour tracer de nouvelles lettres.
Nous n’avons pas non plus réussi à concrétiser notre projet de manger une galette des Rois pour Paul, comme l’année dernière, et celle d’avant, et celle d’avant.
J’aurais pu être déçue par cette journée pleine d’imprévus, cette journée où les considérations matérielles (l’eau, le sommeil, la faim, la marée) ont eu le dessus sur le sens que j’aurais aimé qu’elle prenne, cette journée qui s’est terminée un peu en catastrophe à cause d’un malentendu sur notre heure prévue de retour.
Pourtant, la journée n’a pas été gâchée.
Paul était là, avec nous, malgré tout. Aimé a allumé une chandelle pour son frère (et une autre pour lui, à sa demande). Nous avons admiré les rayons d’un soleil couchant pendant une brève éclaircie.
Et puis, le temps de Paul s’est poursuivi toute la semaine. Dans les messages que j’ai reçus pour souligner son anniversaire, des mots plein de douceur, arrivés de plusieurs pays. Dans la galette dégustée le surlendemain, en pensant à Paul. Et aussi — surtout — dans les « lettres » tracées spontanément par Aimé sur une autre plage, par une journée ensoleillée, et dans son inquiétude à l’idée que la marée montante n’efface « son Paul ».
Paul aurait dû avoir quatre ans. Il aurait dû être avec nous pour célébrer cette journée.
Paul n’aura jamais quatre ans, mais il est toujours avec nous.