les nuits

Je sens le museau mouillé de Lula me pousser doucement sur la main. Je me réveille à moitié. Je lui dis de retourner dans son panier. Il pleut fort. Je n’entends pas d’orage mais apparemment, Lula capte des bruits de tonnerre au loin, qui me sont imperceptibles. Elle s’agite, se couche, se relève. Tourne et se retourne. Le cliquetis de ses griffes sur le plancher m’empêche de me rendormir. Je me lève pour aller chercher le vieux peignoir dont on se sert pour l’essuyer quand elle est mouillée. J’en recouvre Lula, lui fabricant une petite tanière. Elle s’apaise enfin.

Je retourne me coucher le cœur chaviré. Le temps d’un instant, j’ai senti la satisfaction d’avoir répondu à un besoin pressant, d’avoir accompli un devoir, d’avoir pris soin. Puis, dans ce demi sommeil, je réalise à quel point j’aurais voulu avoir à me réveiller pour mon bébé. Les nuits lourdes et ininterrompues ne sont plus gage de repos mais de désolation.

J’ai tellement aimé les moments nocturnes où je sentais que Paul avait besoin de moi et que j’avais ce qu’il fallait pour répondre à ses besoins. Les toutes premières nuits passées à l’hôpital, après sa naissance, avaient été difficiles, notre sommeil si précieux constamment interrompu pour des soins et des tests et des rondes d’infirmières. Mais à la maison, je me suis prise à aimer les moments qui nous unissaient Paul et moi alors que P. et Lula et toute la ville dormaient.

Une satisfaction inconnue jusqu’alors, dont j’ai capté un éclat, un souvenir furtif, cette semaine et m’occupant de Lula.

J’essaie de revivre ces moments, de fixer dans ma mémoire les sensations. Le réveil, parfois difficile, mais souvent accompagné de la réalisation rassurante de m’être réveillée dès les premiers signes de Paul. Le passage un peu technique pour commencer à donner le sein, m’assurer que Paul est bien, qu’il ne me fait pas mal non plus. Puis la sensation physique de l’allaitement, que je ne réussis déjà plus à ressentir. La beauté de Paul. L’intention qu’il met à se nourrir, petit mammifère dans sa plus pure expression. Le temps qui passe, les minutes qui s’effilochent. Parfois, je ne fais que le regarder, d’autres fois, je me laisse distraire par mon petit écran lumineux. Puis, le corps de Paul qui se détend, alors qu’il commence à s’endormir tout en continuant de téter. Éventuellement, tout son corps se relâche, sa mâchoire aussi. Tout doucement, je le détache de moi pour le remettre sur son matelas, calé contre le nôtre.

Des fois, rendus là, je le tend à son papa. Je regarde P. déposer son fils sur le grand triangle de tissu fin. Il replie un coin, puis l’autre, pour ficeler Paul bien serré dans la mousseline, rappel des mois passés à l’étroit dans sa première maison. Des fois, c’est moi qui replace Paul pour qu’il puisse continuer à dormir. Des fois, je me redresse sur le coude pour pouvoir le regarder dans la pénombre. Me nourrir de sa présence, de son sommeil paisible. Mon petit marcassin.

Des fois. Je voudrais tellement en avoir d’autres.
Ces réveils intermittents ont marqué les semaines que nous avons vécues avec Paul. Je pensais qu’ils se succèderaient, jusqu’à ce qu’ils en perdent tout leur charme peut-être. Pourtant, au bout de cette série de nuits douces, parfois plus mouvementées et moins idylliques, trois nuits invivables. Trois nuits de silence, de peur, de pleurs, où on tentait de s’accrocher à un espoir qui n’était déjà plus. Trois nuits d’errance, de douleur, d’odeur d’alcool, de bruit de machines. Trois nuits de solitude, alors que la famille présente avec nous pendant le jour se retirait doucement pour nous laisser faire face à l’inconcevable. Des nuits longues et froides du mois de janvier. Des nuits pour essayer d’accepter l’inacceptable, pour commencer à dire au revoir à Paul.

De ces nuits-là non plus je ne veux rien oublier.

2 réflexions au sujet de « les nuits »

  1. A beautiful post. Those early nights with Paul (at home) sound exquisite.

    I do know the horror of the nights towards the end. Alone to deal with the unthinkable – yes, precisely. And, then, facing the nights after his death, facing the reality of his gone-ness, every night, all over again.

    For me, sometimes I wonder if the strong images that stick with me – mostly from Zachary’s illness and from the day he died – will start to drown out the more pleasant memories, of which there are many. I will fight to ensure that doesn’t happen.

    • I am so sorry you didn’t get to live those blissful nights home with Zachary. It is difficult, i find, to remember the terrible times, the pain and suffering, and to not let it become all there is. To simultaneously cherish the beautiful times and deal with how connected they are to the hard times to come… (i am not sure my words express correctly what i’m trying to say).

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