Je viens de passer quelques jours à Montréal et à Toronto. Un court voyage visant d’abord à encrer dans ma peau une marque du petit marcassin, n’ayant demandé qu’une organisation très minimale. C’était simple et agréable. Du temps passé à explorer des horizons (plus ou moins) nouveaux en bonne compagnie. J’en ai profité, malgré la fatigue qui continue de me peser. Et surtout, malgré l’arrière-goût d’anormalité qui teinte tout ce que je fais. Je ne devrais pas être là, à assister à une pièce de théâtre au milieu de l’après-midi, seule dans une ville loin de chez moi. Je devrais être à la maison avec mon bébé ou en train de vivre une première expérience de camping ou de baignade avec lui. À la place, je dispose de toute cette liberté de mouvement dont je ne veux plus.
Les semaines passées avec Paul ont paru si courtes et si longues à la fois. Quatre semaines de bonheur, puis de douleur, qui me semblent maintenant noyées dans plus de cinq mois d’un marécage dont je tente de me dépêtrer. Quatre toutes petites semaines tellement remplies, tellement intenses.
Je dirais aussi, même si ça fait cliché, des semaines qui ont changé ma vie, qui m’ont changée, moi, profondément. Je ne suis certainement pas passée de femme enceinte à maman dans la salle d’accouchement. La transformation me s’est pas opérée non plus dans les jours qui ont suivi, à l’hôpital. Ou en tout cas, pas complètement. On était complètement pris en charge dans un système illogique mais bien rodé, je me sentais comme une nouvelle mère parmi tant d’autres. Notre vie familiale était encore inexistante. Quand on a pu rentrer à la maison, j’ai eu de la facilité à me fondre dans les nouvelles activités qui s’imposaient à moi. Malgré cela, un sentiment d’irréalité m’habitait. Je me sentais comme au tout début d’un voyage, quand on met enfin le pied en terre inconnue après le long trajet dans les limbes aéroportuaires. J’étais arrivée à destination, ou du moins, à ce que j’avais vu depuis neuf mois comme la destination. Mais, comme au cours des premiers jours d’un voyage, mes sens étaient dans un état d’alerte et d’émerveillement et j’avais de la difficulté à réaliser où j’étais et pourquoi.
J’avais de la misère à croire que j’avais mis au monde un petit humain. Une réalisation étourdissante, quand on prend le temps de s’y attarder un peu, de réfléchir à l’ampleur de cet acte. Choisir de donner la vie et avoir le privilège de pouvoir le faire… Ça me semblait — et ça me semble toujours — tellement énorme, et lourd de conséquences. Je m’habituais doucement à l’idée, je commençais à prendre mes aises dans le nouveau quotidien rythmé par les besoins d’un bébé.
Quand Paul avait dix ou douze jours, je suis allée à la pharmacie chercher une prescription pour lui. La toute première. P. m’attendait avec lui dans la voiture. Je suis allée au comptoir, j’ai donné la prescription. « C’est pour Paul Breton-Leclerc… Non, on n’a pas encore reçu sa carte d’assurance maladie. »
Je dois passer quelque minutes dans la salle d’attente. Ma voisine a deux enfants, le plus jeune, dans sa poussette, n’est pas en forme. On échange quelques mots. Je suis contente de lui dire que oui, j’ai un bébé. On parle du jouet qu’elle agite devant le petit, qui a la belle qualité de ne pas être fait en plastique fluo. Puis la pharmacienne m’appelle au comptoir « pour Paul Breton-Leclerc. » La situation est banale mais je suis tellement contente d’aller chercher le petit flacon de vitamines pour mon bébé.
Je pensais à ça, à ces nouveaux sentiments, en sortant marcher avec Paul bien calé dans le porte-bébé. Je commençais à me voir comme une mère. J’étais contente de pouvoir répondre aux questions des madames au magasin qui me demandaient son âge. Je n’en croyais pas ma chance d’avoir avec moi un petit être que j’allais accompagner, regarder grandir et explorer le monde.
Même aux soins intensifs, la fierté d’être la maman de mon petit marcassin me collait à la peau. À travers la détresse et l’angoisse, un petit bout de bonheur faisait surface quand je me présentais à un membre du personnel comme étant la maman de Paul. Dans la chambre de verre des soins intensifs, la douleur de voir mon bébé se battre pour respirer, de voir son corps supporter les piqûres et les examens en tout genre, cohabitait avec ce sentiment que je n’arrive pas à décrire autrement qu’avec ce mot maladroit, la fierté. Je voulais tellement réussir à dire au médecin que non seulement Paul était en santé mais qu’en plus, il avait réussi à tenir sa tête levée plusieurs secondes (visiblement, je veux encore le dire). Malgré la cruauté de la situation, j’aimais entendre les infirmières me dire que Paul était beau. J’étais d’accord avec elles. Même entouré de toutes ces machines, même transformé par tous ces fils qui le maintenaient en vie, Paul était beau et tellement émouvant. Ça ne sert pas à grand chose, la beauté, dans de telles circonstances. Mais n’empêche, cet étrange sentiment de fierté s’accrochait, une base immuable, sereine presque, qui s’imposait au travers des émotions violentes et indescriptibles des journées d’hospitalisation.
Je me rappelle qu’en apprenant que je j’étais enceinte, quelqu’un a demandé à P. s’il était fier. « Fier de quoi? » on s’est demandé à ce moment-là. On ne comprenait pas trop… Et pourtant, maintenant, je ne sais pas pourquoi, cette fierté, ce sentiment d’accomplissement étrange — on y est finalement pas pour grand chose dans la « réussite » d’un enfant — persiste. Un peu. Tant que je m’y accroche.
I too am proud to be a mother. Although I knew that our son had died before he was born, the rush of pride, happiness and elation overpowered the devastation of our loss in that first instance that I held him in my arms. My beautiful boy, I am proud of him.
Your dear baby Paul was and is beautiful, a son to be proud of.
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