capture your grief 7/8

day 7 — sacred place / jour 7 — espace sacré
day 8 — ressource / day 8 — ressource

Qu’est-ce qu’un lieu, un espace sacré quand on ne croit pas? La possibilité de se rabattre sur les lieux de culte officiels serait à mes yeux un peu hypocrite. Dans la vie courante, je suis critique de l’Église. Je participe occasionnellement à des cérémonies entre ses murs par respect, amitié ou solidarité pour d’autres personnes qui choisissent d’y souligner des moments importants de leurs vies, mais je le fais avec la réserve d’une personne étrangère à ces lieux.

Il n’a jamais été question pour nous de faire baptiser Paul. À l’hôpital, malgré les offres qui nous ont été faites, nous n’avons pas non plus souhaité rencontrer un aumônier. La religion s’est taillée une petite place autour du décès de Paul par le biais de proches qui se sont tournées vers le divin pour faire face à cette mort insensée. Mais cette place est restée dans le cœur, la tête, la foi des autres.

P. et moi, et d’autres avec nous, avons plutôt cherché à créer un autre type d’espace sacré pour honorer Paul.

À sa mort, nous étions face à un vide. Comment l’honorer, célébrer sa vie, exprimer notre souffrance sans faire appel aux seuls rituels qui nous étaient vaguement familiers?  C’est grâce à nos familles, nos ami-e-s, que nous avons pu rassembler des éléments de rituel qui nous rejoignaient et qui, nous le croyions, sauraient rejoindre les personnes qui souhaiteraient elles aussi honorer le souvenir de Paul.

C’est un peu par hasard que je me retrouve à réfléchir à ces deux thèmes — ressources et espace sacré — en tandem. Et pourtant, ces deux aspects de mon deuil sont intimement entrecroisés. Le réseau de personnes tissé autour de nous, de moi, et qui s’est resserré chaque fois que j’en ai eu besoin, est sans contredit la « ressource »,  la source de soutien, qui m’a permis de ne pas sombrer.

 

Le lundi suivant le décès de Paul, P. et moi devions aller prendre des arrangements avec un salon funéraire. Je redoutais ce moment. Au chaos dans ma tête, à la peine trop intense, s’ajoutait le souvenir d’un autre salon funéraire, neuf ans plus tôt. Mon incrédulité d’alors devant l’industrie entourant la mort, la laideur des produits dérivés, le discours du confort pour l’éternité, tout m’étouffait d’avance.

Avant même que j’aie pu mettre des mots sur cette aversion pour l’esthétique funéraire, bien avant que la laideur (toute relative, évidemment) ne m’abime plus que je ne l’étais déjà, mes amies/cousines/sœurs m’ont entouré de la beauté à laquelle j’avais besoin de m’accrocher pour avancer.

A., sur le ton de l’évidence — Je sais que t’aimeras pas les signets du salon funéraire. Pourquoi on ferait pas un petit cahier pour Paul à la place?

J., plus hésitante — Si jamais tu n’aimes pas les urnes qu’ils te proposent, j’ai trouvé quelques liens pour des artisans qui en fabriquent des belles…

Ça été le début de journées de discussions, de création, d’appels, de courriels. A. a conçu le livret de Paul, qui allait nous accompagner bien au-delà de la cérémonie prévue deux semaines plus tard. Grâce à J., je suis rentrée en contact avec l’artisane attentive et attentionnée qui a créé l’espace sacré dans lequel repose Paul.

sacredplaceLoin des boîtes en série qui me faisaient tant de peine, cette urne me donne l’impression d’avoir pu offrir à mon petit marcassin un habitat chaleureux, plein d’amour, ancré dans l’imaginaire sylvestre qui a accompagné Paul depuis avant sa naissance. L’urne, elle, est née de la rencontre entre deux branches de vinaigrier, et de l’art d’une femme qui a tourné sa première urne suite au décès de son premier bébé.

Ces circonstances, le périple hivernal pour aller chercher l’urne à Kamouraska, la rencontre avec sa créatrice, la marche partagée sur les battures du fleuve gelé, la tristesse et la beauté entremêlées — c’est dans tout cela que quelque chose qui s’approche du sacré a pu émerger. Puis dans le partage du souvenir de notre bébé, de notre douleur, de nos espoirs, avec les autres, les nôtres, nous avons créé et entretenu ce caractère sacré, hors de l’ordinaire, hors du temps.

 

merci d’être là.

 


* Pour plus de détails sur le projet Capture Your Grief, c’est par ici.

 

4 réflexions au sujet de « capture your grief 7/8 »

  1. Ça me rassure de savoir que ça existe, des gens comme ça, qui créent des choses aussi belles et qui prennent le temps de partager leur histoire avec autrui. Merci d’avoir partagé cette histoire!

    • Ça a tellement été une belle rencontre, un beau moment malgré les circonstances… J’ai vraiment apprécié pouvoir rencontrer cette femme qui comprenait notre détresse. Comme un baume sur notre tristesse et notre incompréhension…

  2. Le livret à la mémoire de Paul est absolument magnifique, tout comme l’urne choisie et la cérémonie. J’aime l’ouvrir, redécouvrir les photos, voir Paul et vos sourires lorsque vous l’avez dans les bras. C’est un cadeau très précieux.

    Dans les circonstances, on aurait compris le signet et les produits dérivés. Mais je suis heureuse de savoir que, forts de votre amour pour Paul et du soutien de vos proches, vous avez trouvé le courage de lui offrir un espace sacré qui vous ressemble.

    J’en profite pour vous féliciter pour cette heureuse nouvelle de la grossesse. Une lentille (sans doute déjà pois chiche) que nous nous réjouissons de rencontrer et de cajoler.

    (P.S. Si j’étais éditrice, je te payerais un bon salaire pour que tu puisses écrire à temps plein. Je me répète, mais ça vaut le coup : ton talent est immense et ton écriture est profondément touchante.)

    • Merci beaucoup Christine.
      Ça me rend heureuse de savoir que plusieurs personnes ont gardé les livrets et les re-visitent. C’est comme si l’histoire de Paul n’était plus qu’entre nos mains à nous mais qu’elle vivait aussi dans la tête et dans le cœur de plusieurs autres…

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